Dimanche, on tourne... les pages (44)
VENTRES, SONS CREUX
(Patricia GRANGE)
Pour donner le ton de ce nouveau recueil de Patricia GRANGE illustré par Maya MIHINDOU et paru récemment aux éditions VERTEBRALES http://cargocollective.com/revuevertebrale voici cet extrait du « Manifeste nulligeste »
… Parce que ma chair est ma chair
Non, je ne veux pas devenir mère !
Parce que mon ventre m’appartient
Non, je ne veux pas suivre votre chemin !
Parce que personne ne leur a demandé leur avis
Non je ne veux pas, à des enfants, donner votre nuit !
C’est ainsi que s’est ouvert pour moi ce précieux petit recueil aux mots qui sonnent doux et tendres, pleins d’émotion et de délicatesse, ceux que Patricia a choisi de partager avec nous en puisant aux fibres mêmes d’une féminité librement assumée.
Je ne sais pas épouser
Cette terre étrange
De la maternité
… nous confie-t-elle tout de go. Différente des autres femmes, donc ? a-normale aux yeux et aux jugements de celles qui se sont laissé (par conviction, par passivité, par lassitude) persuader de la fallacieuse équation : femme = ventre = mère?
Les poèmes de Patricia ne sont pas plaidoyers pour tel ou tel choix de vie, mais bel et bien prières à l’acceptation généreuse du choix délibéré de l’amie, de la fille, de la sœur, à l’accueil et non au rejet, à l’exclusion.
Leurs yeux me mettent à part
Ils me coupent d’eux
Comme il est dur parfois le regard de l’entourage. Combien est navrante cette incompréhension des proches ! Combien est culpabilisante la souffrance de celle à qui l’on refuse (le droit ?) d’être grand-mère :
Pardon maman
Si mon ventre à moi reste froid
Pardon Maman
De ne pas te mettre ce petit dans les bras
Ah ! Terrible et amère certitude, à laquelle est confrontée l’âme anticonformiste : « Non, les braves gens n’aiment pas que / l’on suive une autre route qu’eux », chantait Brassens.
Mais qui décide du chemin que nous avons à suivre, chacun ou chacune d’entre nous ?
Les beaux textes de Patricia GRANGE viennent bouleverser salutairement les idées un peu trop sommairement établies et tombent à pic pour rappeler que si un corps de femme est apte à transmettre la vie, ce n’est là qu’une possibilité que chacune d’entre nous a le droit de mettre en action ou pas.
Grâces soient rendues aux mots tendres et chauds, vibrants de féminité que lance la poète pour nous dire qu’à chacune sa voie, à chacune son existence de femme.
Regarde-moi
Je suis une femme
Je ne suis pas un ventre
… nous exhorte Patricia et elle vient nous rappeler, fort à propos que :
Ventre qui ne veut pas porter
N’est pas ventre qui ne sait pas aimer
Merci Patricia, d’avoir réveillé en nous toutes ces interrogations, toutes ces pensées marronières aussi… celles qui nous portent fières et femmes… VIVANTES !
Les illustrations de Maya Mihindou, superbes arrondis aux courbes interrogatrices accompagnent les poèmes, les font vibrer, résonner… leur apportant un supplément de musicalité, prolongeant leur écho.
(Monique MERABET, 10 Novembre 2013)