Dimanche, on tourne... les pages 14(12)
JE SUIS NÉ UN JOUR BLEU
(Daniel Tammet)
Jouer avec les lettres, avec les mots pour une page d’écriture en ce dimanche. Et pourquoi ne pas jouer avec les chiffres, avec les nombres ?
Je recopie la date d’aujourd’hui : 130414. J’essaie de trouver une suite logique dans ces trois marqueurs de jour, mois, année… je ne vois rien a priori. 13 plus 4, cela fait dix-sept, le nombre de syllabes pour un haïku, ce haïku qui me fuit, qui fuit mes préoccupations du jour, mon retard chronique dans la vaisselle et le repassage, par exemple, l’urgence à rendre compte des notes attribuées pour un jury de Concours, etc.
Et si je l’écrivais à l’envers : 414031 ? Est-ce un nombre premier ? Comment le savoir ? Cela me demanderait de fastidieux calculs… ou consulter Google. Pas envie de googliser aujourd’hui : c’est dimanche, on tourne les pages.
Ah ! je n’ai pas la faculté de visualiser les nombres premiers comme Daniel Tammet, moi ! Daniel Tammet, « autiste savant », l’auteur de « Je suis né un jour bleu » dont je viens de terminer la lecture.
Lui, les nombres premiers il les repère d’un coup d’œil. Il est tombé dans la liste quand il était petit. Il est né le 31 Janvier 1979.
« J’aime la date de mon anniversaire parce que lorsque je visualise les nombres qui la composent, je vois leurs formes lisses et rondes comme des galets sur une plage. Il s’agit de nombres premiers : 31, 19,197, 97, 79, 179. »
Outre sa capacité à manier les nombres en de savantes opérations, à mémoriser les 22514 premières décimales du nombre Pi, il possède aussi le « don » des langues jusqu’à apprendre l’islandais en… quatre jours par exemple.
« Certains mots et certaines combinaisons de mots m’apparaissent comme particulièrement beaux et me stimulent »
Le livre « Je suis né un jour bleu » décrit donc cette fabuleuse propension à la synesthésie, cette mise des chiffres et des lettres en formes, en couleurs aussi. Saviez-vous que le mercredi est bleu ? que le chiffre 1 est blanc ?... Bel éclairage sur l’intelligence humaine qui n’aurait pas procédé autrement pour composer un langage.
« Le professeur Ramachandran pense que ces connexions synesthésiques entre la vue et l’ouïe ont été une étape importante dans l’histoire de la création des premiers mots par les hommes. »
Au-delà de l’intérêt scientifique de réfléchir aux surprenantes activités de notre cerveau et de comprendre que l’autisme par exemple, le syndrome d’Asperger ici évoqué n’est qu’une perturbation des processus communs à tous les cerveaux, l’ouvrage de Daniel Tammet est aussi une belle leçon de persévérance et d’espoir.
Ce récit optimiste dit les difficultés qu’éprouve un enfant « différent » à s’intégrer dans notre monde ; il dit aussi la réussite débouchant sur une existence sereine et accomplie.
Voilà de quoi passer quelques agréables moments de lecture.
Toutefois, je ne cacherai pas que l’attrait principal du livre est pour moi, cette place incroyable que les nombres premiers occupent dans la structure mentale de Daniel Tammet, dans son quotidien aussi.
« Les trois adresses de mon enfance étaient des nombres premiers : 5, 43, 181. Mieux, nos voisins étaient des nombres premiers, eux aussi : 3(et 7), 41, 179. »
Il n’y a pas de hasard… En tout cas, voilà qui me sidère ! J’ai modestement étudié et enseigné les Mathématiques et je connais ces nombres qui ne se divisent que par eux-mêmes et par 1 et qui se distribuent suivant des séquences imprévisibles… ce qui entraîne la fascination et la curiosité des mathématiciens pour ces nombres si particuliers. Mais je les ai toujours considérés comme des entités mathématiques et donc du domaine de l’abstraction pure. D’apprendre que pour un esprit humain, les nombres premiers se visualisent, constituent des paysages et, partant, des réalités tangibles, cela me paraît extrêmement troublant. Les nombres existeraient-ils vraiment ?
De quoi faire papilloter mes neurones…
(Monique MERABET, 13 Avril 2014)