Rendre visible l'invisible
RENDRE VISIBLE L’INVISIBLE
(Présentation de l’exposition à la Médiathèque de Sainte –Marie)
Vendredi 13 Mars, Jour de chance. De chance, vraiment ?
La chance est le talent de saisir les opportunités. Et en ce qui concerne le chrysanthème de Noël, ce serait faire preuve d’ingratitude que de ne pas accueillir toutes les grâces qui ont accompagné la petite fleur de papier que j’ai imaginée pour un conte de Noël impromptu : il s’agissait à l’origine (presque quinze ans déjà) de construire un fil rouge afin de présenter les chants de Noël d’un concert.
Depuis, elle en a fait du chemin tipa tipa… Un livre d’abord, album coloré superbement mis en images par Céline Manoël, une classe de Seconde, un atelier, une première exposition en Décembre 2014…
Et, au bout de ce matin de ciel bleu, de fleurs bleues, de soleil caressant les visages, de chants d’oiseaux, le hall de la Médiathèque de Sainte-Marie où s’alignent les teintes, les formes, les matières, les pensées… Le bonheur de plonger dans la zénitude retrouvée après les jours d’orage, plonger dans le monde des rêves accomplis s’épanouissant sur les murs d’un hall nimbé de lumière.
Jour de fête réunissant les lycéens et les déficients visuels et tous les amis qui les entourent.
Réunir dans un même lieu, sur ce petit caillou d’île de l’Océan Indien, les tableaux que Céline Manoël, l’artiste venue de Métropole nous a apportés dans ses bagages un beau mois de Décembre 2014, les réalisations étincelantes d’un groupe d’artistes amateurs, déficients visuels eux aussi : quelle gageure !
Au concret des pastels, des matériaux (papier, cartons, tissus, etc) se mêleront les paroles des élèves d’une classe de Seconde, commentant avec les yeux de l’âme les illustrations, leur inventant une histoire décalée par rapport au conte originel…
« Rendre visible, l’invisible », a dit Céline Manoël qui a regagné ses pénates au-delà de l’océan, mais sans nul doute, son cœur vibre à l’unisson des nôtres, aujourd’hui, grâce aux créations qui portent les marques de sa sensibilité, de ses ressentis à l’égard des épisodes de l’histoire.
Et vous, quels ressentis en aurez-vous, vous qui voyez autrement ?
Les lycéens ont complété leurs descriptions des peintures par des réflexions sur « le point de vue d’une personne qui ne pourrait pas voir » à la demande de leur professeur Blandine Berne. Des extraits de leurs écrits sont aussi affichés sur une grille du hall. J’en citerai quelques unes :
« Si j’étais non voyant, je verrais tout en noir »
« Si j’étais non voyant, chaque jour il ferait nuit sans étoiles »
« Comment peut-on supporter le regard quand on ne peut pas regarder ? »
« … mais un vivant entend tout et j’entendrais les personnes rire et pleurer »
« En fait je devrais communiquer à mes camarades cette faculté d’accepter le fait d’être aveugle comme un simple trait de mon identité. »
Réflexions d’ados, de bien-voyants, de quoi alimenter un échange, peut-être…
Pour terminer cette présentation je voudrais dire combien je remercie lycéens et malvoyants, les personnes qui les entourent, le personnel de la Médiathèque dont l’accueil et la diligence ont rendu possibles et festives ces rencontres.
Savez-vous que vous avez tous participé à un beau rêve de partage, que vous avez contribué à le faire s’accomplir ? Que la petite fleur de papier imaginée le temps d’un conte, en sortirait tellement embellie, magnifiée ? Que sa quête d’une couleur de joie pour saluer Noël se métamorphoserait en chemin d’existence, celui que chacun de nous expérimente ? Celui d’une frêle âme évanescente qui se densifie, qui prend consistance à chaque étape d’une rencontre, d’une amitié.
Je voudrais citer ce beau texte répondant à l’ébauche de pâquerette de la première illustration, « une pâquerette blanche sur une page blanche, on ne doit presque pas la distinguer, on doit à peine la deviner… » dit Céline, l’illustratrice.
Et l’interprétation des lycéennes :
« Voici une fleur blanche sur fond blanc, ce qui illumine le tableau, le rend pur pour représenter l’innocence.
Entendez-vous le doux murmure de ces rires d’enfants et ce vent qui balaye les feuilles dans un léger froissement ?
Toutefois, des parts d’ombres se dessinent en filets sur le contour des tiges flottant dans l’air. Elles laissent ainsi apparaître le côté mortel et éphémère de la nature et peuvent représenter aussi la noirceur qui sommeille en chaque être de douceur et d’espérance. Une tache jaune au milieu de la fleur semble égayer le tableau et rayonne dans le blanc comme une lumière pour la paix. Cette couleur réchauffe le tableau comme le ferait sur notre peau le soleil. »
Et maintenant il ne reste plus qu’à aller découvrir les rencontres successives de la blanche marguerite et sa transformation finale en chrysanthème arc-en-ciel.
Les illustrations de Céline sont au nombre de 14 (les 13 épisodes du conte et le dessin de couverture du livre) et racontent le cheminement de la pâquerette, ses rencontres : le Père Noël, les cloches, l’âne, le bœuf, l’étoile, les décorations de Noël, les flocons de neige, le mouton, la carte postale, les santons, Noël à la Réunion, jusqu’à l’arc-en-ciel final des couleurs de Noël.
Ne pas oublier de s’arrêter devant les six tableaux réalisés par l’atelier de Décembre animé par Céline. Ceux-là sont pour les doigts qui rêvent, qui imaginent puisqu’ils ont été fabriqués par les déficients visuels eux-mêmes. Ne pas hésiter à palper, à deviner, à compter les étoiles, à débusquer la pâquerette…
Chaque tableau (peinture ou collage) est étiqueté en gros caractères et Braille. Pour que tous s’y retrouvent. Á noter aussi que l’album est mis à la disposition des visiteurs et que le conte qui a été enregistré par Huguette Payet et par l’auteure est diffusé en boucle sur le lieu de l’expo.
Bien apprécier les différentes interprétations : le texte, le pastel de Céline, le collage d’un artiste en herbe parfois et la relecture réalisée par les lycéens… Eux avaient eu connaissance de l’image sans le texte.
Je ne peux résister au plaisir de présenter cet épisode des flocons de neige qui met bien l’accent sur les différences d’imaginaire suivant que l’on vive dans l’hémisphère Nord ou l’hémisphère Sud.
Ce que dit le texte :
Les flocons de blanche ouate qui s’accrochaient aux aiguilles du sapin de Noël et parsemaient le sol environnant, n’appréciaient guère toute cette agitation autour de la fleur. Ils prirent un air sévère pour admonester leur entourage :
« Vous ne rêvez que de paraître ! Pourquoi vouloir troquer votre virginale beauté contre le mirage de couleurs de pacotille ? Regardez nous. Nous sommes nés tout blancs et nous en sommes satisfaits. Est-ce que vous imaginez la neige fondant en flaques bleues, rouges ou vertes ? Ce serait du propre !
Non ! Noël est blanc… et se doit de garder cette blancheur. C’est à la mémoire humaine d’y broder tout un vitrail de souvenirs, un arc-en-ciel de sensations, un abécédaire de traditions. Votre poète manquerait-il d’imagination ? » (Monique Merabet)
L’illustration de Céline Manoël :
« Il fait froid, plus de courbe, plus de jeu. Les lignes sont droites, elles s’enfuient vers l’horizon, horizon glacé et rectiligne. » (Céline Manoël évoquant les hivers de la Région parisienne)
NB : c’est le seul tableau de Céline qui ne comporte pas de courbes
Et le commentaire d’une lycéenne (qui, rappelons-le, ne disposait que de l’image)
Camille, la Réunionnaise, parle d’un tableau qui pourrait s’appeler « Petit bout de paradis »
« La sagesse de la mer comble le bruit des vagues. Le reflet du coucher de soleil m’apporte un petit moment de détente sur une plage au sable blanc.
La fleur est en mouvement sous un beau ciel dégagé.
C’est un petit coin de paradis, avec un grand calme. »
Neige… sable blanc… Oh ! Noël à la Réunion…
(Monique MERABET, 13 Mars 2015)