L'almanach de Compère Volcan (Novembre)
Premier Novembre: Tout un contingent de "sorcières" envahit mon jardin... Croyances et superstitions qui reviennent en force tarabuster les Réunionnais...
Le texte qui suit est extrait de "L'almanach de Compère Volcan", ouvrage bilingue Créole/Français en quête d'éditeur.
XIII
Novembre arriva
Compère Volcan ouvrit les yeux
Note de l’auteur : si ça se trouve, ce volcan un peu tête-en-l’air, n’a pas remarqué qu’on en est au chapitre Treize. Il est à craindre que l’histoire ne bascule dans le film d’horreur. Tenez bon les amis !
Le Premier Novembre, le papangue ne se montra pas. Le Deux Novembre, le ciel restait désert comme la Plaine des Sables, sans l’ombre d’un oiseau. Dans son almanach, le volcan lut « Jour des trépassés »… et là il commença à se faire sérieusement du mouron. Son cœur se serra comme s’il était étreint dans un filet de barbelés. Il se demandait s’il n’était pas arrivé un grand malheur à ses amis. Il s’exaspérait de ne pouvoir s’extirper de son trou pour aller aux nouvelles.
Enfin, un dimanche aux aurores, le papangue arriva en tapinois. Il volait comme sous l’emprise d’une drogue. Il ne salua même pas son camarade. De son bec, ne sortaient que ces paroles :
- Volcan, quelle heure il est ?
- Kèlërilé ? Oh ! Tu n’es plus un gamin dans la cour de récréation ! Que t’est-il arrivé ? Explique-moi pourquoi tu es en retard comme ça.
- Quelle heure il est ?
- Tabouret ! Encore ! Et, dis-moi, pourquoi regardes-tu ainsi derrière toi ? Tu crains d’être suivi par Granmèrkal ou par Grandiab ? Si c’est là ce qui te tracasse, je peux t’assurer que les deux malfaisants ne sont pas près de sortir de mes boyaux. Ligotés comme ils sont par des cheveux de Pelée coupants comme des rasoirs, ils ne s’échapperont pas d’ici longtemps. Même si cette rouée de Mèrkal est bien capable de téléphoner à sa copine pour qu’elle vienne les tirer de là : « Allo, Ouine ! Allo Ouine !
Là-dessus, les lèvres épaisses du volcan laissèrent fuser quelques éclats de rire pétaradants, tellement il était fier de son calembour. Mais il fut seul à trouver ça drôle. Le papangue devint aussi blanc qu’une nappe d’autel passée à la boule de bleu.
- Chut ! Chut ! Ne prononce pas le nom de ces démons. Cela porte malheur. Quelle heure il est ?
- Kèlërilé ? Kèlërilé ? Tu sais, ta litanie de Sainte Pendule commence à m’énerver. Ça doit être bien sérieux ce qui t’arrive pour que tu en deviennes maboul. Les petits ont attrapé une maladie grave ?
- Non… Non… Toute la famille se porte bien. Dieu merci !
- Alors, c’est ta femme qui veut t’empêcher de sortir à ta guise ? Peut-être ne souhaite-t-elle pas que tu me fréquentes ? Je comprends mon pauvre ami… Aujourd’hui tu es venu en catimini dès que tu as pu filer ?
- Non ! Ce n’est ça du tout ! Zézette a beaucoup de considération pour toi et elle me pousse à venir te voir, « quelqu’un qui a les pieds sur terre », comme elle dit. Si je te demande quelle heure il est, c’est que je n’ai pas envie de me faire surprendre à une croisée de chemins quand la nuit arrive.
- Ah ! Tu me fais pitié, Papangue ! Il n’est même pas sept heures du matin et tu t’inquiètes de la nuit tombée ? Allez, entre vite, passe directement par la cuisine ; je te mets une pleine bouilloire de tisane de romarin au coin du feu. Cela te remettra les idées en place. Et puis tu me raconteras quelle espèce de monstre est susceptible de te faire trembler telle une feuille de bananier battue par la brise.
Et, à ce moment, le volcan entendit distinctement un bruit insolite. Cela faisait : Kalak-kalak-kalak…
- Qu’est-ce donc que ce kalak-kalak-kalak que j’entends là ?
- Ce sont mes dents qui jouent des castagnettes.
- Tes dents ? Je vois que tu n’es vraiment pas dans ton assiette. Les oiseaux n’ont pas de dents. Je crois bien te l’avoir déjà dit.
- Tu vois un peu quelle peur phénoménale me tient. J’ai tellement la trouille que mes dents qui n’existent pas se manifestent.
Après avoir ingurgité un peu de tisane, le papangue reprit ses esprits et il put expliquer ce qui lui arrivait :
- Tends bien l’oreille maintenant. Je parle à voix basse parce que cette… monstruosité dont il est question, elle n’est pas ordinaire. L’autre jour … Kalalak… Kalalak… Cousine Pélagie, une parente éloignée du côté de ma belle-mère, a déboulé à la maison, avant le chant du coq. On aurait cru une vieille folle avec ses plumes ébouriffées ; elle était encore en chemise de nuit et en savates. Elle criait : « Mon Dieu ! Seigneur ! Marie ! Joseph ! J’ai vu s’ouvrir les entrailles de l’enfer sous mes pieds ! J’ai vu un caca de Zavan sur mon pas-de-porte. Les enfants, réveillez-vous ; il faut faire une neuvaine de prières pour effacer cette malédiction… S’il vous plaît, emmenez-moi à la Vierge Noire ou bien à La Salette, à Notre-Dame de Lourdes, à Fatima … n’importe où, pourvu qu’il y ait une statue de la vierge ; ce n’est pas ce qui manque, ici. S’il le faut je suivrai un chemin de croix à genoux pour lui demander de me délivrer de ce sortilège. »
- Attends un peu, Papangue. Je ne comprends pas trop ce que tu racontes. Ton bec a la tremblote comme quelqu’un qui aurait bu trop de rhum dans sa jeunesse. Qu’est-ce donc que ce zavan-là qui te fait perdre la boule ? Á mon avis, ce doit être une espèce d’animal. S’il salit la cour de ta cousine, ce n’est pas si terrible. Dis-lui de passer un bon coup de balai et tout redeviendra propre.
- Volcan, ce n’est pas ça… Tu ne m’as pas laissé finir. Ce zavan-là, ce n’est pas une espèce d’animal en chair et en os comme no… comme moi. D’ailleurs, aussitôt que le jour se lève, tout se volatilise ; on n’en voit plus la trace. En fait, c’est comme un signe prémonitoire pour nous dire qu’une âme de défunt échappée de l’enfer viendra prendre l’âme d’un vivant… Kalak-Kalak…
- Ah ! Tu veux dire que tu t’es mis une nouvelle superstition dans la tête ? Je t’ai déjà mis en garde, Papangue. Á force de croire à des billevesées pareilles tu risques de t’enliser dans de drôles de marigots. Tu es déjà sur la mauvaise pente, toi qui ne rates pas un horoscope dans le journal…
- Compère Volcan, tu t’obstines à ne pas vouloir me comprendre. Là, je ne te parle pas de broutilles comme de passer sous une échelle, de dormir sous un manguier ou de voir un chat noir te couper la route en venant de ta gauche. Non ! Là, il y a vraiment une âme en peine qui ne tardera pas à venir t’arracher ton âme à toi. Que du malheur à attendre pour l’entourage…
- Bah ! Je ne crois pas que tes zavan existent. Il n’en est pas fait mention dans mon almanach.
- Je vais te dire pourquoi. Une abomination comme ça, c’est trop grave pour qu’on la laisse traîner dans un livre. Cela risquerait de rendre l’ouvrage maudit.
- Bon… Ben, même si c’est vrai ce que tu dis, il n’y a pas de quoi se tracasser, petit frère ! Tous les deux nous sommes préservés de l’emprise d’une créature diabolique comme un zavan. Moi je suis de la pure roche. Toi, tu es un oiseau. Nous n’avons ni âme, ni esprit.
- Oh Volcan ! Je te demande pardon par avance mais je vais lâcher une grossièreté. Tant pis ! Zézette et sa mère ne sont pas là pour m’enguirlander. Je te le dis tout net : Volcan, tu es un grand couillon, le roi des couillons, même ! Le couillonisme t’enveloppe comme une lèpre. Dis-moi, à supposer qu’on ne soit pas dotés d’esprit, comment aurions-nous fait pour raisonner ainsi toute cette année ? Allez, fais travailler tes petites cellules grises (au cas où tu en aurais !). Moi, je rentre chez moi, je me barricade, et je me mets aux abonnés absents pour le reste du mois.
Et le papangue fila tout là-haut dans le ciel, sans se retourner, jusqu’à son nid.
Quant au compère Volcan, même s’il jouait à l’esprit fort, les paroles du papangue avaient ébranlé ses certitudes. Avant que des pensées insidieuses viennent l’empoisonner, il préféra se plonger dans un profond sommeil comme son copain.