Les sens de la vue

Publié le par Monique MERABET

Cherche et trouve... le paille-en-queue

Cherche et trouve... le paille-en-queue

LES SENS DE LA VUE

 

 

 

Au sein des cirrus

le paille-en-queue disparaît

trop vite à mes yeux

 

Rencontre au feu rouge : un paille-en-queue plane et disparaît dans une brume de nuages. L’oiseau blanc soluble dans un fin voile… je n’en crois pas ma vue. L’admirer sans me dire que je n’ai jamais réussi à le photographier. La grâce de disposer de ce sens suprême qui en enclenche d’autres à sa suite. Voir et imaginer parfum, musique…

Comme ce concours si « japonais » que relate Le Bureau des Jardins et des Étangs de Didier Decoin. Le jeune empereur lance un défi : illustrer par des odeurs, la scène d’une jeune fille franchissant un pont entre deux bancs de brume. Je n’en connais pas encore l’issue.

Ah ! Quelles senteurs inventer pour mon paille-en-queue passant fugacement d’azur à brume, au-dessus de la ville ?

Que sent-on là-haut, dans cet univers hors de la portée de mes sens ? L’ozone, un relent de senteurs marines collées aux plumes du paille-en-queue, l’odeur mouillée du nuage, des vapeurs d’essence émanant de la rue, voire la rencontre d’une fumée… ?

On pourrait aisément prolonger le jeu par une représentation sonore (frémissement d’ailes, un soupçon de digiridoo pour évoquer le chuintement de l’oiseau pénétrant les filaments de cirrus, moteur, pas, cris…) ou tactile (ouate d’un duvet, humidité, frôlement d’un passant…) et pourquoi pas sapide…

Je pense aux malvoyants, à l’exposition « Passerelles » conçue pour eux, avec eux, il y a quelques années. Il s’agissait pour les visiteurs de fermer les yeux, de toucher, de humer, d’écouter, de goûter… images de la vie s’exprimant si pleinement malgré le sens qui manque.

Et pendant que mes pensées batifolent sur fond de tendresse et de joie — il y a une allégresse inhérente au vol du paille-en-queue, son long plumet faisant danser l’espace — me revient le visage de Vanina, jeune victime d’une incompréhensible violence… les funérailles aujourd’hui au cimetière de Piton Saint-Leu, lieu d’enfance, de souvenance. « Vanina dans les étoiles », me dit l’amie qui accompagne la famille.

 

Les frangipaniers te pleurent

trop tôt – oh ! si jeune morte

 

(5 mai 2018)

Publié dans Automne ou printemps

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article