Le printemps m'engante
LE PRINTEMPS QUI M’ENGANTE
Bientôt l’équinoxe
ombres du benjoin poussées
vers le bord du mur
ce qui devient invisible
n’existe-t-il pas ailleurs ?
Le printemps m’engante. Plaisir de retrouver ce terme du vieux français évoquant une s’éduction. L’origine en est un terme de marine décrivant les manœuvres d’approche d’un navire dans le dessein d’en capturer un autre. Trésor de langues : le mot est (était ?) utilisé en créole dans le sens de séduire. Printan-la i angante amoin.
Et qui osera me dire que « isi na poin printan » ? Le printemps en approche, je le ressens dans l’air, dans les chants, dans mes os. Il fera de mon petit jardin un domaine : davantage de couleurs, de parfums, davantage de feuilles et de fleurs. Et le dernier carré des ombres rejetées vers la transparence, l’invisibilité, une fois passée la frontière de l’arête du mur.
Profiter encore quelques jours de la double corniche — derrière moi, devant moi — sur laquelle se posera un cardinal. Il sera repeint de gris mais je le reconnaîtrai quand même à son chant. Uit-Uit-Uit… je me rappelle.
Vient le temps des sens réveillés sachant puiser ces sensations extérieures qui me feront une nouvelle intériorité.
Le haïku est poème et, comme tout poème (musique des mots), il vient de l’intérieur.
« La musique est un cri qui vient de l’intérieur », chante Lavilliers.
N’est-il pas paradoxal de qualifier le haïku d’intérieur, lui qui exprime les ressentis que nos sens nous communiquent, venant de l’extérieur ? Mais n’est-il pas insaisissable l’ici et maintenant, le présent virant au passé de façon étourdissante ? Nos instants vécus ne sont-ils pas de ceux qui estampent l’âme, qui l’engantent ?
(17 septembre 2018)