Mais où sont les gonis d'antan
MAIS OÙ SONT LES GONIS D’ANTAN
Ciel gris – m’attarder
sur l’orange d’une feuille
broméliacée
Mon automne va sur sa fin. C’est ce que dit mon calendrier qui croit encore aux équinoxes et aux solstices.
Penser à couper les tiges sèches du papyrus ; ainsi, tout renaîtra.
Sur ma peau griffe des ans
où sont les neiges d’antan ?
Mon distique pour ce lundi de Pentecôte, à nouveau jour de vacances, me précise B., l’amie professeur.
J’aime bien glaner ces petites phrases de la vie des autres ; elles font partie de ma vie puisqu’elles me sont adressées comme vivaces « ne m’oubliez pas » : photos venues de Saint-Malo, sourires de M., de S., présentant « Lettres de Lémurie, opus 2 », le marché de la poésie où rôde la tempête Miguel (du nom de mon frère, dit i.), F. a pris son parapluie.
Vendredi, à la banque. Je quitte l’automate de retrait, non, je n’ai rien oublié… L’homme me hèle : « Madame, Madame, c’est pas à vous ce parasol ? »
Parasol. Ici, on dit parasol même si c’est pour se préserver des gouttes.
Retour au monde de l’enfance. Le parasol servait à nous protéger de l’ardeur du soleil quand nous allions à Vêpres, dimanche après-midi. Maman et ses deux tifiys, chacune son parasol, chacune sa taille et sa couleur, rayonne bariolée qui nous évitait les cuisants coups de soleil.
Lorsqu’il pleuvait, on s’enveloppait dans un imperméable, plastique transparent bleuté ou vert d’eau ; et pour ceux des champs, un goni sur la tête, cela suffisait bien pou anpar la plui…
Goni, sac en toile de jute qui renfermait toutes ces denrées alimentaires riz ou grains importées. Objet obsolète, en voie de disparition, pour ne pas dire carrément disparu : aujourd’hui, en imitation fibres plastique, lé plu méyèr, lé plu modern…
Mais où sont les gonis d’antan, ceux qu’on réutilisait avec inventivité : paillasson, maniques (brodées, ma chère), toile pliant ou toile à paillasse… il paraît même qu’on y taillait des vêtements avant, pendant, après, temps de guerre ou de misère. Quand Maman racontait, j’étais pétrifiée d’horreur ! S’habiller avec ça !
Souvenir vague de cette héroïne d’un roman jeunesse, collection verte ou rouge et or, elle s’appelait Gloria, je crois : petite pauvresse invitée chez les riches ; pour l’occasion sa mère lui avait cousu une robe dans un sac plastique. La honte…
Décalage comme celui que j’ai ressenti — toutes proportions gardées — lorsque nous avons reçu le pharmacien (bourgeois zorèy) dans notre modeste salon, nous les deux fillettes en paletot de tennis* à carreaux mauves confectionnés par la couturière locale. Pas du goni mais…
(10 juin 2019)
*tennis : flanelle de coton légère, fréquemment utilisée autrefois pour la confection des vêtements « d’hiver ».