Jornées Haïkus 2020
JOURNÉES HAÏKUS 2020
(Balade au Jardin de l’État)
Les vrais compagnons ce sont les arbres,
les brins d’herbe,
les rayons de soleil,
les nuages qui courent dans le ciel crépusculaire ou matinal,
la mer, les montagnes.
C’est dans tout cela que coule la vie,
la vraie vie,
et on n’est jamais seul quand on sait
la voir et la sentir.
(Alexandra David-Néel)
À la fin des deux jours de formation à l’écriture de haïkus, une professeure participante me tend, un peu timidement, un petit carré de papier, arraché à son carnet. Elle a écrit :
Jours de février
balade au fil des mots
je respire haïku
Remerciements pour ces moments fervents et joyeux passés ensemble. J’apprécie que ce soit une page de cahier, quadrillée, écrite à la main. À noter d’ailleurs que mes « élèves » de cette année (une dizaine d’enseignants) ne s’étaient pas encombrés d’ordinateurs ou de tablettes. Je me suis sentie moins décalée, moins obsolète.
J’aime aussi qu’elle évoque cette balade au jardin de l’État, un des clous de la formation.
La balade haïkiste (ginko… Ah ! j’ai oublié de leur dire le mot), il y a un avant, il y a un après.
« Je n’ai jamais pris le temps de flâner ainsi, tous sens ouverts ; je suis plutôt du genre à marcher les yeux baissés sur mes souliers, ruminant mes pensées. »
Banc au bord de l’eau
Dur d’écrire un haïku !
Un pigeon s’élève
Et la balade peut commencer. À chacun son parcours, ses sentiers… les petits carnets se remplissent de la glane au fil de l’eau, le long des troncs noueux fleuris de lichen ou de striures, dans les feuillages tout là-haut.
Palmes au fond du bassin
ombres et vie se confondent
Tout est haïku. Les miens captant les vibrations végétales, animales ou… humaines
Nénuphar crémeux
l’abeille sait son parfum
balade haïkiste
Jardin de l’État
au choix hélicoptère jaune
ou débroussailleuse
Personnages des troncs
s’animant avec la lumière
bruitage des perruches
Saint Valentin
deux lézards verts se tiennent
par la queue
Assise sur la racine
fraîcheur d’ombre qui palpite
venue de si haut
Murmure de brise
murmure de l’eau
entre ciel et terre feuille qui danse
Et puis, bien sûr, les rencontres. Toujours possibles. Toujours intéressantes.
Aux quatre coins du parc
la même dame en boubou rouge
nous salue
Instant privilégié. D’ordinaire, dans la rue, les Mahoraises passent, indifférentes. Magie du haïku.
Arpentant l’allée qui mène au Muséum, l’homme aux béquilles : une fois, deux fois, trois fois… exercice de rééducation. Du coin de l’œil je note ses passages.
C’est ainsi que je croise le chemin de Gaby. La conversation s’engage devant une des photos géantes jalonnant l’allée.
Il est venu me parler. Je ne sais pas pourquoi.
Aura-t-il été intrigué par mon carnet noir de haijin ? Est-ce par fraternité d’âge ? Ou tout simplement comme on échange quelques mots en se croisant sur un sentier de randonnée, complicité d’initiés ?
Il me raconte sa sœur qui a l’habitude de sortir dans la rue, de nouer conversation avec un passant, riche de ce qu’elle peut découvrir, échanger… Gaby, lui, ancien professeur, profite de sa belle vie de retraité : il vient souvent au Jardin, là où tout est calme et émerveillement.
« Vous voyez, cette rangée de lotus ? Il suffit de regarder sous un autre angle et tout change. »
C’est extra…
Je lui confie une esquisse de haïku, une note sur cette abeille aussi grosse que les fleurs naines du nénuphar.
Feuilles de nénuphar
une abeille atterrit
plus grosse que les fleurs
J’ai omis de préciser que les fleurs sont petites.
« Oui, fait Gaby, c’est que l’abeille n’a pas de limite alors que le nénuphar reste toujours à la même place. »
Et voilà mon observation réelle s’envolant vers le symbolisme !
Du coup, l’envie d’en faire un tanka :
Feuilles de nénuphar
plus grosse que la fleur
l’abeille atterrit
ses ailes l’emmèneront
au-delà de nos racines
Le mot « racines » m’a été soufflé par les stagiaires lors de notre exercice collectif d’écriture.
Ah ! Ils ont bien du talent les haijins en herbe ! En témoigne ce florilège des haïkus rapportés du Jardin ce vendredi 14 février 2020 :
Terre desséchée
roulé boulé de feuilles mortes
arrêt brutal
Assise sur un banc
les longs battements d’ailes
volent les balançoires
Petit escargot
sur une feuille du bassin
moi sur cette île
L’allée s’élance
au fond d’elle abandonnée
tu te retournes
Dans l’allée pavée
un groupe d’enfants
les ombres s’écartent
Café meringué
blanc manger mangue citron
l’oiseau du jardin
Demi-lune blanche
sérénité de mon âme
la feuille se déplace
Elles portent un temple
de leurs mains nues et fermées
femmes de bronze
le chant des perruches
s’élève dans l’azur
cage refermée