Lune d'encre
LUNE D ENCRE
Sous-titré « Poèmes d’amour et d’impermanence », le recueil publié aux Éditions du Tanka Francophone réunit deux poétesses de l’âge d’or de la littérature du Japon : Ono no Komachi (834 ?) et Izumi Shibiku (974 – 1034 ?)
Poètes amateurs de tankas à lire, à écrire, ne ratez pas la rencontre avec ces deux femmes du Japon classique, dames de la cour impériale de Kyoto. Elles possèdent au plus haut degré l’art de cette poésie brève capable de dire tellement de choses en si peu de syllabes.
Amour et impermanence, les deux vont de pair dans ces admirables poèmes de deux dames du palais évoquant les rencontres amoureuses clandestines dans le secret des soies et des cloisons que l’on ouvre ou que l’on ferme sans un chuintement… chuchotements de brise, parfum de prunier, cette neige que des pas pourraient salir, l’éternelle histoire des amants impermanents, attirance, plaisir ou la rupture, l’attente vaine, l’oubli et le souvenir qui perdure.
Est-il apparu
car je me suis endormie
en pensant à lui ?
Si j’avais su que je rêvais,
ne me serais pas réveillée (Ono no Komachi)
Humour léger et délicieux du non dit, de la lucidité, des sentiments sans mièvrerie.
J’aurais tout à citer, à recopier avec la tentation de m’en inspirer… comme d’un abécédaire pour l’enfant qui apprend à lire. Me refaire une initiation au tanka avant d’écrire les miens.
Femmes de désirs, de vie, sensibles à tout ce qui survient en elles ou dans la nature environnante, reliant extériorité et intériorité, elles cultivent une forte spiritualité, voire une religiosité. Dames de la cour, on pourrait les croire légères et insouciantes, détachées de nos quotidiens plus prosaïques. Il n’en est rien. Chaque femme de notre siècle, de notre pays peut prendre à son compte ces ressentis, ces sentiments, frissons et regrets, souvenirs qui hantent les nuits.
J’essaie de retenir en mon cœur
l’unique pensée de l’enseignement de Bouddha
mais ne peux m’empêcher
d’entendre aussi l’appel
des nombreux grillons (Izumi Shikibu)
La préface de Jane Hirshfield raconte admirablement les parcours de ces deux femmes extraordinaires et tout le bien que nous pouvons trouver en d’autres lieux, d’autres temps à leurs tankas.
« Nous nous tournons vers ces poèmes non pas pour découvrir le passé mais pour vivre le présent plus intensément. par là même, ils satisfont l’exigence de toute grande littérature, car ce sont nos propres vies qui se trouvent éclairées en eux. »
Je terminerai par ce tanka sublime qui résume bien nos incertitudes de poètes, notre façon d’être au monde.
Il est facile
de haïr ce monde de tourments
mais comment puis-je quitter un monde
qui inclut cet enfant ? (Izumi Shikibu)
(Monique Merabet, 22 septembre 2020)