Le temps d'une fable
LE TEMPS D’UNE FABLE
Ciel gris. Que peut-on faire d’un jour de grisaille ? À moins que l’on ne songe… répondrait Jean de La Fontaine ;
Fabuliste fabuleux, était-il affable ? Je n’en doute pas : les gens qui s’intéressent aux comportements animaux possèdent en eux une bienveillance, une poésie naturelles. (sauf éleveurs en caque, bien entendu !)
L’année Jean de La Fontaine, à fêter ici comme ailleurs.
Il me revient l’histoire de cette institutrice expliquant à ses petits élèves réunionnais, comment classer les animaux.
Que mange le renard ?
Et la réponse jaillit : « Du fromage »
Corbeau et renard, qui ne sont point d’ici, passés dans les incontournables de culture réunionnaise…
Dans mes pérégrinations poétiques, je n’ai pas manqué de m’essayer aux fables, les inscrivant dans un contexte créole. Voici ce que sont devenus loup et agneau :
L’AGNEAU ET LE LOUVETEAU
Depuis belle lurette
Les loups ne mangent plus les moutons.
D’un décret en faisant interdiction,
On préparait justement la fête.
Bien sûr, il avait fallu beaucoup de temps
Pour estomper l’horreur de ces honteux carnages ;
Mais si quelques anciens en demeuraient méfiants
Il n’en était pas de même du jeune âge :
Ceux qui jouaient aux mêmes jeux,
Chantaient les mêmes rimes
Partageaient, insoucieux
Leurs plurielles racines.
C’est ainsi qu’un louveteau et un agnelet
Se prirent d’amitié fraternelle,
Et s’en furent, à leurs parents, conter
La bonne nouvelle.
Hélas ! Monsieur Loup s’était pris de querelle
Avec Monsieur Bélier. On en ignore la cause
Mais cela changea la face des choses ;
Loin de féliciter leurs tendres rejetons
De cette entente cordiale,
Ils entreprirent de leur faire la morale
… À leur façon.
— Mon enfant, dit le bélier,
Les loups sont ovicides et ils ont décimé
Notre espèce pendant des générations ;
Et ceux à qui ils faisaient rémission
Se voyaient dépouiller de leur blanche toison.
— Mais, Papa, rétorqua l’agneau, désorienté,
Mon ami est trop jeune pour en être accusé.
— Si ce n’est lui, c’est donc son père,
Ou l’un de ses ancêtres. Ils sont tous responsables
De ces crimes inexpiables !
— Pourtant, reprit l’agneau, timidement,
Mon copain est gentil loup et il me semble
Qu’il doit être quelque peu de nos parents :
Ses poils gris et frisés, aux nôtres, ressemblent.
Père Bélier en blêmit de colère :
— La honte soit sur nous, de cette parentèle !
Ah ! Ils s’y entendaient à forcer nos agnelles !
Pour ces crimes impies, notre sang crie vengeance.
Mon fils, reste à l’écart de cette perfide engeance !
De son côté, Messire Loup fit ses remontrances :
— Mon enfant, dit-il, au louveteau interloqué,
Les moutons sont menteurs, hypocrites et voleurs ;
Ce sont des êtres vils, de race bien inférieure
À nous autres loups, de si haute lignée.
Nous leur avons tout appris, des bonnes manières,
Nous avons tout fait pour les civiliser.
Mais leur ingratitude fit qu’ils nous poignardèrent,
Au lieu de nous remercier.
— Mais Papa, rétorqua le louveteau désorienté,
Mon ami est trop jeune pour en être accusé.
— Si ce n’est lui, c’est donc son père
Ou l’un de ses ancêtres. Ils sont tous responsables
De ces fautes inexpiables.
— Pourtant, reprit le louveteau, timidement,
Mon copain est mouton bien élevé et il me semble
Qu’il doit être quelque peu de nos parents ;
Sa longue queue, à la nôtre ressemble.
Père Loup en perdit tout son sang-froid :
— La honte soit sur nous, de cette parentèle !
Ils s’y entendaient à forcer nos demoiselles.
Pour ces crimes impies, notre sang crie vengeance !
Mon fils, reste à l’écart de cette perfide engeance !
Le lendemain matin, dans la cour de l’école,
Chacun joua dans son coin… mais ce n’était pas drôle !
Bien vite, ils décidèrent
De laisser ces sottes batailles à leurs pères ;
Et firent mille parties de « Loup y es-tu ? »
Et de « saute-mouton », bien entendu.
(20 janvier 2021)