A la Jules Renard

À LA JULES RENARD

L’escargot du café

efface lentement

relents d’un mauvais rêve

Il était question de chats…

Ah ! Écrire les « histoires naturelles » du bestiaire du café. À la mode Jules Renard ?

Ce matin, l’escargochat : une bedaine, une queue trop courte qui n’occupe qu’un arc ridicule en s’enroulant, un œil à facettes au milieu du ventre-amibe. Quelque chose d’à la fois grotesque et effrayant… peut-être un blob i vèy anou !

(oui, je sais, Main Gauche, Jules Renard n’usait point du créole. Mais comment t’expliquer l’art du pastiche ?)

Une pièce qu’un souffleur de verre aurait ratée… Et fané à ma surface, se récrie le café. J’suis pas une poubelle quand même tu y déverses tes idées noires !

L’égrégore d’un cauchemar… Silence ! Ni main, ni café ne bronchent. C’est moi qui me demande quelle existence pourrait avoir ma gargouille avec toutes ses tares.

Je peux l’effacer — et le rêve et le café avec — d’un clappement de lèvres après lui avoir soufflé dessus. Mon portrait arrêté… Bah ! Je ne possède pas la plume élégante et le trait ciselé du grand écrivain. Et puis, je vous avoue, je n’aime pas toujours l’anthropomorphisme un peu cynique qu’il déploie pour décrire les animaux.

« Oh ! la vilaine jal… » essaie de prononcer Main Gauche, vite étouffée.

Je montre peut-être trop de sensiblerie, d’hypocrisie, genre à s’attendrir sur un poussin qui finira rôti !

Dernièrement, une vache a mis bas trois jolis veaux. Aussitôt les réseaux sociaux en ont larme à l’œil : c’est si meugnon ! On propose même de leur donner un nom, une gentille mignonnerie, cela va de soi, déclinée en « ine » ou en « ette ».

Je me demande comment les aurait baptisés J. Renard : Côtelette, Escalope, Blanquette ?

« Oh ! La vil… », réessaie Main Gauche.

(27 janvier 2023)