Couleurs des poèmes réunionnais

Publié par Monique MERABET

Couleurs des poèmes réunionnais
Couleurs des poèmes réunionnais
Couleurs des poèmes réunionnais

COULEURS DES POÈMES RÉUNIONNAIS

 

(Exposition organisée par l’UDAR au Hang’Art à Saint-Pierre)

 

 

Aux murs de l’expo

vibrent couleurs et poèmes

patchwork pour une île

 

L’exposition qui se tient jusqu’au 6 octobre 2024, rassemble vivantes représentations de La Réunion qui n’a jamais mieux porté son nom de « L’île aux poètes » puisque chaque toile est illustrée par un poème, réunionnais lui aussi. Là se côtoient les incontournables Leconte de Lisle, lacaussade ou Albany et d’autres auteurs contemporains… à découvrir.

On ne sait qui, des mots ou des couleurs ont joué le rôle d’inspiration. Ce qui est certain, c’est qu’il nous est donné de voir un vibrant patchwork de « petits coins charmants » ici ou là sur l’île, paysages connus, ou kaléidoscope de couleurs issu du passé, de l’histoire, des légendes… de l’âme réunionnaise.

Je m’attacherai plus particulièrement aux huiles de Bruno RICQUEBOURG puisque l’artiste a choisi quelques-uns de mes textes pour accompagner sa peinture.

 

Tout d’abord, ce coin de jardin « extraordinaire » — comme le sont tous nos jardins créoles —  qui nous ramène aux verts paradis de l’enfance, aux mystères cachés au creux d’un tronc, divulgués par la brise dans les palmes ou par le clin d’œil la malice d’un petit lutin… à débusquer. Il se coule à merveille dans ce poème « Konm dann bèr ti ouète » écrit grâce à la complicité de Huguette PAYET.

 

Sur un autre pan de mur, on découvre une marine inspirée par un bord de mer au Butor (et mon poème « Heureusement il y a la mer ») : jeux de vagues mousseuses et de galets irisés. Je suis ébahie par la dextérité de l’artiste à impulser aux teintes lumineuses la force et la grâce d’une danse. Combien de nuances de bleus pour donner cette impression de mouvement !

En bordure de plage, il y a la réalité d’une ville et son enfermement de béton ; elle m’inspire à chaque fois l’effroi du grignotage bétonnier. Mais Bruno Ricquebourg a choisi un autre angle de vue, reléguant la cité aux murs blancs à peine esquissés, loin là-bas, à la limite de la toile, vestiges d’un urbanisme qui s’incline devant la magnificence d’un océan. La nature triomphant de cet embrigadement que l’humain lui impose, on respire plus largement, ne serait-ce que pour un instant.

 

Juxtaposée à la marine, une toile non figurative intitulée  Granmèrkal  ; on quitte là le ressenti des sens pour une vision plus intérieure.

« Je n’ai pas pu nommer cette toile autrement que Granmèrkal », dit l’artiste. Sous-entendant que le personnage s’est imposé à lui, surgi de l’enchevêtrement de teintes sombres et de flammes venues sous son pinceau. Notre légende de Granmèrkal s’appuie sur cette figure ambigüe, avatar d’un passé esclavagiste, portant toutes les ombres dont nous l’avons chargée.

Pour l’illustrer, mon Fonnkèr Granmèrkal : « Mi vè pi moin sé Granmèrkal… »

L’appariement des deux toiles d’eau et de magma me semble symboliser notre double appartenance à un monde de mer et de volcan, portes ouvertes vers le dèor et vers le feu interne, simultanément.

 

Il y a tant à découvrir, tant à penser de ce vivant tapis-mendiant créole exposé là ! Nous nous trouvons au cœur même de la création. Chaque artiste nous révèle un peu de son intime et nous fait plonger avec lui dans notre identité de Réunionnais. Chacun a sa façon de ressentir l’île qu’il habite et a choisi ses couleurs de manière à faire surgir de la vacuité d’une toile, cet inconscient commun issu de nous, nous enveloppant.

Une montagne, une plage de galets, un fond de ravine, un arbre, une forêt, une maison… ne sont pas que les éléments d’un décor, ils ont une âme  qui s’attache à notre âme et la force d’aimer… 

Le poème, le tableau, la sculpture… sont autant de « vases mystiques » où le lecteur, l’observateur, puisera, boira.

Va-et-vient essentiel entre l’auteur et le lecteur : lire une peinture ou un poème relève de la même démarche, celle de capter une ambiance, de s’intégrer à un horizon, de communier avec l’autre, créateur ou visiteur.

Et je salue l’initiative de l’UDAR (Union des Artistes Réunionnais) d’avoir marié les deux formes de création.

L’art de bien regarder avec les yeux du cœur est accessible à tous. Et l’exposition dure jusqu’au 6 octobre ! À ne pas manquer !

 

(Monique MERABET, 30 septembre 2024)

 

Ne pas manquer non plus une incursion dans la salle d’à côté pour les sculptures de Dolène FUMA et ses étonnants « Regards », tableaux qui ne se révèlent qu’en changeant d’angle de vision.

 

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