Chapeau (7)
(dessin Huguette PAYET)
Chapeau, Béatrice!
(Huguette PAYET)
Derrière ses moustaches énormes ,tissées de quelques brins d'argent, le grand-père de Béatrice avait l'air de sourire dans son dernier sommeil. Sa vie avait été si belle, si bien remplie, la tâche accomplie si grande, si généreuse, que son visage était d'une sérénité qui faisait l'unanimité de tous ceux, venus lui dire un dernier au revoir...
Béatrice, sa petite-fille, plongée dans les bons souvenirs que lui laissait cet homme
merveilleux qui avait su l'apprivoiser et qu'elle adorait, se mit à lui parler intérieurement, comme s'il était encore vivant :
-Grand-papi, qu'est-ce que tu crois que je vais t'offrir parmi les objets que nous aimions le plus tous les deux pour que tu l'emportes là où tu vas? Ton briquet en forme de rhizome, que tu avais acheté au Vietnam et que tu avais baptisé Gingembre en lui versant un peu d'eau dessus, sous mes yeux admiratifs? Ou ta canne toute droite en bois de goyavier que tu m'as aidé à sculpter à l'aide de ton canif, celle que tu avais choisie toi-même aux abords de la forêt, et qui était toute tachetée de blanc? Vite réponds-moi, avant que n'arrivent les hommes en noir qui vont fermer pour toujours le couvercle de ta boîte...
Le grand -père semblait sourire avec malice à la lueur de la flamme de la bougie qui vacillait. Non, non! semblait-il dire avec la tête...
-Alors ce sera peut-être, ta boussole, que tu maniais avec tact et savoir-faire, quand tu m'embarquais sur ton voilier pour m'apprendre à m'orienter, t'en souviens-tu? Ou peut-être encore le beau papillon aux ailes bleues que nous avons chassé ensemble près de la passerelle qui mène à l'îlette Sans-souci? Fais-moi signe Grand-papi chéri!
Mais le vieil homme qui continuait à sourire derrière ses moustaches énormes qui chatouillaient Béatrice hier encore quand il lui faisait un câlin, s'obstinait à ne pas répondre.
Soudain un frisson parcourut tout le corps de Béatrice. Au même moment, Grand- papi semblait lui faire un clin d'oeil. L'idée géniale venait d'arriver. Le voilà enfin l'objet qui les relierait tous les deux, celui dont elle donnerait la plus grosse partie à Grand-papi -c'était normal car il l'avait porté toute sa vie- mais dont elle garderait un tout petit brin pour elle, un brin de cuir tressé, bien enduit de cirage noir et qui brillait comme s'il était neuf. Son chapeau, bien sûr! Comment n'y avait-elle pas pensé plus tôt? Son chapeau qu'il ne quittait que pour dormir ou quand il entrait dans l'église-ah oui!-quand il le soulevait aussi, pour saluer quelqu'un ou encore quand sonnait l'angélus à six heures...
Trêve de palabres, Béatrice dans un mouvement presque jubilatoire, s'empressa de décrocher au porte-manteau de l'entrée le chapeau de''Cow-boy des montagnes''-il s'amusait à s'appeler comme ça, je le jure!- se dépêcha de s'attabler à la table ronde du salon pour lui ôter son lien tressé, courut le déposer délicatement sur la tête de Grand-papi. Qu'il était beau le Grand- Chef sous son couvre-chef!
Les hommes en noir venaient juste d'entrer pour le conduire à son dernier voyage...