Graines, gousses, épis, etc. (13)
La voici, la version française du merveilleux texte de Camille!
A relire... même si on a déjà apprécié la version en Créole. La traduction a été assurée par Huguette.
Un p’tit grain de poésie, deux p’tits grains de fantaisie, trois p’tits grains de folie…d’utopie.
Traduction française des parties écrites en créole réunionnais, dans l’ordre de leur apparition dans le texte d’origine.
Première partie.
Aujourd’hui, il fait chaud. Très chaud. Dans ma case en tôle, l’air est si lourd qu’il n’a plus la force de circuler. Une écharpe de plomb m’écrase les épaules. Au dehors, les feuilles s’agitent un tout petit peu, sous le souffle d’une brise légère. Je vais au jardin m’allonger à l’ombre du manguier à la recherche d’un air plus frais. Un petit grain rouge attire mon regard. Il brille au milieu de l’herbe bien verte, comme un cardinal écarlate parmi les graminées. Ce grain est un grain de cascavelle. Je le reconnais à la couleur noire qu’il porte comme une chevelure au sommet de sa tête. C’est un petit bijou, fantaisie, parfait. Je comprends pourquoi les filles d’ici faisaient jadis les belles en portant colliers et bracelets faits de ces grains là. Je cherche souvent le bonheur où il n’est pas. Bien sûr, je ne le trouve pas. Ne courons pas plus loin : le bonheur est déjà dans ce grain. Quand je réfléchis, moi aussi je viens d’une graine de mon père et d’une graine de ma mère. Elles se sont rencontrées dans un nid douillet et bien chaud pour germer et se développer. Quand j’observe ce grain rouge, il me met de la joie au cœur. Il chasse mes soucis. Il me donne l’espérance. La vie semble alors paisible et tranquille, sans conflits, sans batailles et s’écoule tout simplement au rythme des saisons.
Deuxième partie.
Beaucoup de gens s’interrogent pour savoir, qui des deux est arrivé le premier de la poule ou de l’œuf. Je pourrais sans doute me poser la même question pour la cascavelle. Qui est arrivé avant, chez moi, la liane ou le grain ? La réponse est simple à trouver. C’est moi qui l’ai semé, ce grain, il n’y a pas très longtemps, derrière le manguier. C’est vrai, quand je me promène dans les bois, dans les champs, je ne peux résister au désir de mettre une poignée de graines que je rencontre, dans ma poche. Je n’en fais pas collection. Je n’en fabrique pas des colliers. Non. Leur diversité, leur couleur, leur beauté me fascinent. Quand je devine l’énergie, la vie, qui y grouillent en silence, je sème quelques graines dans le jardin ou dans un pot, pour voir ce qui va en sortir. Quand le grain germe, perce la terre, déplie son petit cœur et ses petites feuilles vert-tendre, mystère de la vie, puissance magique de la nature, je suis content. Le roi n’est pas mon cousin. Il n’y a pas de plus joli cadeau. J’appelle mes enfants, ma femme pour voir ça, pour partager ce moment avec moi. C’est une vraie naissance. Comme un petit animal, un petit enfant qui viennent vivre parmi nous… Cela me fait penser qu’au mois d’Août dernier, j’ai mis en terre une graine de* grenadine jaune. La liane a failli se rompre sous la charge des fruits. Des grenadines couleur- or, sucrées comme du miel, par centaines, pendaient à la liane qui avait grimpé sur les buissons d’acacia proches de ma cabane. Aucun engrais, aucun insecticide, aucun produit chimique dans ces fruits. Bio comme on dit. Quel plaisir on a eu à les déguster ! Et la saison n’est pas finie. Mes amis en ont profité. Sans mentir, ils m’ont dit :’’Voilà des fruits à faire pousser.’’J’ai promis un plant à chacun d’eux… Liane de grenadine, merci pour ta générosité, ta bonté gratuite, désintéressée. Ce n’est pas facile de te rendre la pareille. Remarque, j’ai le cœur clair, je t’ai bien soignée. J’ai mis à ton pied un bon petit fumier, fait avec des feuilles et des pelures de légumes de mon bac à compost. Je n’ai pas oublié de t’arroser, quand la sécheresse, il y a quelques mois de cela, sévissait… Je n’ai mis aucun poison sur tes feuilles, je peux dormir tranquille sur mes deux oreilles.
Quand on voit La Réunion recouverte de toutes sortes de verdures, c’est difficile d’imaginer qu’il y a des millions d’années de cela, notre île était sèche comme un graton, toute nue comme un désert, sans rien dessus. Rien que des roches volcaniques que le Piton des Neiges et le Piton de la Fournaise ont remontées du fin fond de l’Océan Indien. Mais la terre est comme un aimant. Elle attire toutes sortes de graines. Le grain est fait pour trouver un coin pour pousser. La terre, elle, est là pour le nourrir. La terre, le grain, sont liés, associés, solidaires. Ils sont faits l’un pour l’autre.
*La grenadine : autre nom du fruit de la passion.
Troisième partie.
D’autres graines ont débarqué. D’autres animaux, d’autres oiseaux, sont venus squatter ce petit paradis. Les rivières, les cascades ont coulé. Les poissons, depuis la mer jusqu’à la rivière sont montés. Beaucoup de tortues sur la plage ont pondu. Séduits par ta beauté et ta tranquillité, tous ont voulu rester, n’ont plus voulu déménager. Un paradis de rêve, qui voudrait le quitter ? Entre eux ils se sont débrouillés. L’un a tendu la main à l’autre. La solidarité, la générosité, le partage désintéressé ont formé une chaîne sans fin. Ils se sont si bien associés que l’un a trouvé bon ce que l’autre a rejeté de mauvais. Les animaux en respirant rejettent du gaz carbonique, toxique. C’est cela que les feuilles absorbent pour se développer. En plus, elles dégagent sous l’effet de la lumière l’oxygène que tous respirent. Les animaux de leur côté rejettent leurs excréments, avec le temps, cela donne un bon fumier dans lequel les plantes trouvent de quoi se nourrir. L’environnement, le milieu, le bio-top étaient nés, créés à tout jamais. Ils ont forgé ensemble, le relief, le climat, les saisons …
Et l’homme a débarqué. Une poignée pour commencer. Fruits, gibier étaient en abondance. De quoi satisfaire leur gourmandise, leurs palais. La forêt était riche. Les arbres ne manquaient pas. Ils en ont coupés pour faire des mâts. Pour faire des abris pour la nuit contre le vent, la pluie, le froid. Pour les embarquer dans d’autres pays… Ils ont sacrifié ainsi une bonne partie de ton cœur. Heureusement qu’ils ne sont pas restés. La vie a continué à se développer… Nature on connaît ta force, ta volonté pour t’accrocher, pour ne pas abandonner, pour résister.
Puis de plus en plus de gens sont arrivés. Il fallait des esclaves, des engagés, pour travailler, pour planter, récolter la canne, le café. Une multitude de graines a voyagé, a débarqué. Chaque pays a apporté les siennes. L’Afrique, Madagascar, l’Inde, la Chine, l’Amérique, l’Europe. Grains de riz, grains de blé, grains de maïs, pour la nourriture de tous les jours. Grains de fleurs pour faire briller les yeux et pour faire plaisir au nez. Grains de fruits, letchis, longanis, mangues, papayes en pagaille. Les palais se sont bien régalés. Tout cela n’était ni trafiqué, ni empoisonné. Réunion, tu mérites bien le nom qu’on t’a donné. Réunion de tous les grains du monde, de toutes les plantes du monde. Réunion de toutes les races du monde, qui ont fini par se mélanger, se métisser pour la plupart d’entre elles… Nature, ton exemple nous a appris à vivre ensemble. Même si ce n’est pas toujours simple, malgré quelques tensions.
De nos jours il y a de plus en plus de monde, près de 800 000 je crois, qui foulent ton sol. Près de cinq milliards peuplent la planète. C’est alors que les choses se gâtent et que tout commence à aller de travers.
Quatrième partie.
Nous sommes en train de détruire en un rien de temps ce que la nature a mis des millions d’années à construire. Nous devons changer notre comportement, consommer moins, consommer mieux, moins gaspiller. Nous occuper de nos déchets, moins en produire. Nous devons être plus solidaires, plus respectueux de notre environnement. Des maladies graves comme le cancer, Parkinson, Alzheimer, les maladies cardio-vasculaires ne cessent pas d’augmenter. Nous empoisonnons la terre, les plantes. Attention au retour de bâton. L’effet boomerang a déjà commencé. Ne croyons pas que nous aurons toujours tout en quantité. Que nous pouvons sans dommages gaspiller. Les produits chimiques ne sont pas dangereux. A petites doses, ils ne nuisent pas à la santé : seuls les fabricants et les vendeurs de ces poisons tiennent un tel langage et débitent de pareils mensonges. Ils ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, pas plus loin que leur porte-monnaie. Nous prennent-ils pour des imbéciles ? Cela fait longtemps que l’on ne croit plus au Père-Noël, pourtant ! Ne perdons pas notre esprit critique, notre instinct de conservation. Ne les laissons pas mourir, que diable ! N’oublions pas que si nous continuons ainsi, la terre se retrouvera comme au début, sèche comme un graton, toute nue comme un désert, sans rien dessus. Mais avec une grande différence. Elle sera un enfer étouffant, empoisonné, où toute vie ne pourra plus jamais naître, grandir, multiplier.
C’est vrai. Nous ne serons plus là pour assister à tout cela…quoique…Mais, nos descendants ont, eux aussi, le droit de voir un grain germer, pousser, une fleur répandre son parfum, étaler sa beauté. Eux aussi, ont le droit de s’allonger à l’ombre d’un arbre, pour y trouver le frais, de manger un fruit sucré. De vivre sur une terre propre, généreuse, comme on nous l’a donnée.