Le flamboyant miraculeux

Publié le par Monique MERABET

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LE FLAMBOYANT MIRACULEUX

 

Á Grand-mère née un 2 décembre d’un autre siècle… 1885

 

 

 

Dans notre maison familiale de Stella, régnait sans conteste, Nénène Agathe.

Toute petite, Agathe s’était retrouvée orpheline et avait été recueillie par une aïeule charitable qui l’avait élevée au sein de sa maisonnée, l’avait envoyée sur les bancs du catéchisme et fait faire sa communion, ce qui était considéré suivant les critères de l’époque, comme la base essentielle et suffisante d’une bonne éducation, surtout pour une fille.

D’un physique peu gracieux, elle n’avait pas trouvé à se marier et était devenue au fil des années, une sorte de « vieille fille au pair », un membre à part entière de la famille ; et, comme il est naturel pour une vieille parente, elle s’était installée chez ma mère, l’aînée des enfants.

Nénène Agathe, comme toutes les campagnardes de ce temps-là, était superstitieuse, bien qu’elle s’en défendît, je ne dirai pas comme un beau diable, l’invocation sacrilège troublerait certainement son séjour dans l’au-delà.

Elle avait ainsi bâti son existence sur tout un rituel de tabous qu’elle se gardait bien de transgresser et elle nous chapitrait inlassablement sur les lieux qu’il ne fallait pas fréquenter à la tombée de la nuit, les arbres maléfiques, les vêtements qu’il ne convenait pas de porter, et les mille et un petits évènements du quotidien qui portent malheur.

Elle se montrait fort mortifiée par le peu de crédit que nos âges insouciants accordaient à ses recommandations pressantes.

Un jour, la Municipalité, soucieuse des échéances électorales, avait organisé une fête des nénènes à laquelle Agathe avait été conviée et dont elle était revenue, nantie d’un superbe plant de flamboyant.

 

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Le maire, poète à ses heures, avait établi un audacieux parallèle entre l’arbre fétiche qui ornait traditionnellement les lieux publics de l’île, « ancrant nos âmes au plus profond du sol natal » et les nénènes, « ces parangons des traditions qui perpétuaient dans les familles les saines coutumes créoles ». la vérité, comme toujours était plus prosaïque : il convenait d’écouler les invendus d’un cousin pépiniériste.

Tout d’abord, nénène Agathe se montra très fière de la distinction qui lui avait été faite et ne tarit pas d’éloges sur le « bon maire » qui savait reconnaître ses mérites… pas comme notre nichée d’ingrats, semblait signifier le regard de défi dont elle nous toisait.

Pour leur part, tous les enfants de la maison étaient ravis, imaginant déjà l’arbre majestueux, l’ombrage du feuillage dentelé abritant les jeux et les fêtes ; et surtout, les rouges inflorescences qui le transformeraient, décembre venu, en un arbre de Noël magique, prélude aux grandes vacances de l’été austral.

Mais voilà ! L’euphorie ne dura guère : nénène Agathe croyait dur comme fer à la Malédiction du flamboyant.

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Il se racontait dans les campagnes qu’il fallait se garder de transplanter soi-même un pied de flamboyant ; l’année qui verrait la première floraison de l’arbre (et Dieu sait si cette espèce poussait vite !) verrait aussi la disparition de l’imprudent qui l’aurait mis en terre.

Ainsi nénène Agathe s’opposait-elle à ce qu’un membre de la famille ou même quelque voisin complaisant se charge de la funeste transplantation.

Elle invoquait mille et un prétextes pour retarder la date fatidique :l’état de la lune ne convenait pas ; il faisait trop chaud, trop humide, trop sec. On la soupçonna même d’inciter le chat de la maison à l’honorer des ses griffes.

Rien n’y fit ! Le rejeton se fortifiait, poussait ses rameaux dans tous les sens ; les racines gonflées de sève transperçaient le sac en plastique qui les contenait.

Le magnifique présent devenait chaque jour plus encombrant et la nénène était l’objet des plaisanteries du voisinage qui ne ratait pas l’occasion de lui faire remarquer combien son « enfant » prospérait.

Pauvre nénène Agathe ! Elle en perdit le sommeil et l’appétit. Elle n’osait même pas se débarrasser du cadeau empoisonné au fond de quelque ravine par crainte des ladilafé qui la désigneraient à la vindicte publique.

Enfin ! selon un des ses dictons favoris : « Na in jour i apèl demain ! »

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Un jour qu’elle se trouvait seule à la maison, elle s’avisa de la présence providentielle d’un vagabond au nom (prédestiné ?) de Coco-la-pioche qui passait quotidiennement devant chez nous pour aller « faire le plein » à la boutique située à l’autre bout du village. L’homme, à l’aller, était encore à moitié sobre et titubait de façon moins prononcée qu’à l’ordinaire. Nénène Agathe se risqua à lui confier la délicate mission de planter le flamboyant contre la promesse d’un « bon koudsèk ».

Coco-la-pioche avait l’arak serviable et la besogne fut rondement menée ; enfin, pas si rondement que ça, tout de même ! Par la suite le flamboyant poussa un peu de travers, sans doute en raison des soins chancelants dont il avait été l’objet dans sa prime enfance.

Les années qui suivirent, Nénène Agathe considéra avec beaucoup d’inquiétude les progrès du végétal qui devint un robuste arbrisseau. Elle ne se sentait pas la conscience tranquille vis-à-vis de Coco-la-pioche et ne manquait pas de lui glisser un pti kat sou à l’occasion. Pour la faire enrager, nous lui demandions si, dorénavant, elle favorisait l’ivrognerie et le vice. Elle grommelait en réponse des mots inintelligibles et nous invitait à nous mêler de nos affaires sur un ton qui coupait court à toute réplique.

Sa piété sans faille la lança avec frénésie dans d’impressionnantes séries de chapelets, de neuvaines, de messes dédiées aux âmes du Purgatoire, sans doute par anticipation du sort du malheureux pécheur.

 

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Elle fut vraiment soulagée après avoir constaté que bien des lunes avaient suivi les premières fleurs et que le jardinier-malgré-lui continuait à déambuler sur les chemins de plus en plus obliquement mais toujours gaillardement.

Pragmatique à ses heures, elle en profita pour revenir à ses anciens principes et n’octroya plus l’indécente aumône au clochard éberlué qui se fit une raison, se disant avec philosophie que les voies de la générosité étaient, comme celles du Seigneur, impénétrables.

Un cousin facétieux composa un couplet malicieux pour la circonstance ; il prit bien soin de le chanter loin des oreilles de la nénène fort irascible dès qu’on faisait allusion à sa cocasse aventure.

Il disait à peu près ceci :

 

Oté mounoir !

Nana malër pou toué asoir

Si kan toué la fine boir l’arak

Tï kroiz shemin Madame Agathe.

Plante pa, plante pa

Plante pa pié flanboiyan

Somanké pou toute bon

Kan va pète an flër

Toué sra simetièr.

 

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Nénène Agathe possédait une statuette qu’elle tenait d’une lointaine aïeule. Lesaint personnage représenté était d’une espèce inconnue au calendrier pourtant bien fourni et peu regardant sur l’authenticité de l’iconographie créole. Il s’agissait d’un mystérieux (mystérieuse ?) Saint(e) Théotyste (orthographe non garantie) sans fonction particulière.

Lorsque le flamboyant grandit, peut-être pour remercier le ciel de l’avoir préservée d’un péché mortel, Agathe confectionna une petite niche à la fourche de deux grosses branches et y plaça la statue du Saint qui accéda ainsi au rang de divinité tutélaire.

Les passants, habitués aux oratoires des « p’tits bons dieux » qui fleurissaient un peu partout au bord des routes de campagne, se signaient devant lui et se fendaient d’une petite prière : on ne sait jamais… Et il faut croire que leur naïve dévotion porta ses fruits, car bientôt des ex-voto colorés s’accrochèrent aux branches. Depuis, il se chuchote dans tout le pays environnant que le « Saint du flamboyant » se montre très efficace pour lutter contre l’alcoolisme, et que bien des soûlards ont retrouvé le droit chemin grâce à son intercession.

 

FIN

Publié dans Evènements

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C
<br /> <br /> Merci monique de nous redonner à lire ce texte Plein de malice et de tendresse. Il n'a pas pris une ride. Les photos sont magnifiques...mais même en plissant les yeux je n'arrive pas à détecter<br /> les abeilles cachées dans le coeur d'or des fleurs épanouies.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Mais pourquoi y aurait-il des abeilles dans le flamboyant? Il n'y a pas que les abeilles dans la vie...<br /> <br /> <br /> <br />
I
<br /> <br /> Oula la, la mauvaise lectrice que voilà ! <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> En tout cas,j'attends tout pareillement la suite. Merci d'avoir répondu à mes inquiétudes.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Mais non Ida tu n'es pas une mauvaise lectrice mais une lectrice consciencieuse et.. fperspicace Finalement tu m'as bien devinée!<br /> <br /> <br /> Merci de l'intérêt que tu manifestes à mes écrits<br /> <br /> <br /> <br />
I
<br /> <br /> Mais pourquoi, Nénène, n'ayant pas trouvé à se marier est-elle Grand-Mère, ta grand-mère ?<br /> <br /> <br /> En tout cas, j'attends la suite.<br /> <br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Bonsoir Ida<br /> <br /> <br /> Non! Non! Nénène Agathe n'est pas ma grand-mère. Mais j'dédié mon texte à ma grand-mère (elle s'appelait Aglaé) parce que... bien sûr, je me suis inspirée d'elle pour le personnage (fictif)<br /> d'Agathe<br /> <br /> <br /> <br />