Les 10 mots du 10 Mars (XVI)
Mon enfance.
(Camille PAYET)
Quand j’étais petit enfant,
Je voulais devenir grand.
J’ai joué à imiter mon père,
Un forgeron hors-pair,
Expert, de caractère,
Qui dominait le feu, le fer, la matière.
Dans la forge, sur l’enclume, avec un marteau
Trop lourd pour mes sept ans,
Je façonnais de toute mon âme
Dans un fer rougi à blanc,
Mon outil, ou quelque chose d’approchant,
Unique à mes yeux, fascinant,
Qui avait pour le moins le mérite
De combler largement mes penchants naturels
Pour le métier dont mon père était le magicien,
Qui transformait en quelques coups de marteau,
Un simple bout d’acier
En objet…d’art, je ne sais,
Mais en outil, oh combien utile aux gens du village.
Quand j’étais petit enfant,
Je voulais devenir grand.
Je jouais à imiter ma mère
Qui dans sa cuisine nous préparait
Un bon gâteau d’ patates
Qu’elle cuisait dans sa marmite,
Avec des braises sur le couvercle.
Alors au fond de la cour, en catimini,
Sous les cognassiers,
Dans une vieille casserole abandonnée,
Je jouais à me transformer moi aussi en pâtissier.
Dois-je vous confier la fin de l’histoire ?
Le résultat escompté, n’était pas au rendez-vous.
Le gâteau, plus dur que galet,
Dans sa croûte brûlée,
Ne se laissant pas démouler,
Fut rageusement jeté dans le poulailler.
Même la volaille refusa d’y goûter.
Quand j’étais petit enfant,
Je voulais devenir grand.
J’ai joué au papa et à la maman,
A tit caz, comme on dit chez nous.
Le papa, c’était moi, évidemment
Et ma voisine du même âge
Voulait bien être la maman.
Quels transports, vous devinez,
Quand je regardais dans sa petite culotte,
Son petit pompon différent du mien
Que je découvrais, où je mettais la main.
Bien sûr, elle me le rendait bien,
En faisant de même avec le mien.
Quand j’étais petit enfant,
Je voulais devenir grand.
Je jouais au maître d’école,
Sévère, c’était le temps !
Gare aux élèves qui n’avaient pas bien aligné
Les lettres percées avec une épine de choca
Dans une feuille de zèrb tortue,
Qui nous servait de cahier.
Quel plaisir d’avoir de l’autorité,
De se sentir craint et respecté.
Bien sûr les rôles étaient chaque fois inversés,
Et je récoltais à mon tour la dureté que j’avais semée.
Quand j’étais petit enfant,
Je voulais devenir grand.
Mais j’ai pas joué au curé,
Je ne pouvais pas les supporter.
J’ai trop souffert à cause d’eux.
Quand j’étais petit enfant,
Je voulais devenir grand.
Je voulais être capitaine, commandant,
Grand chef de guerre ambitieusement.
Je jouais avec las copains aux cow-boys et aux Indiens.
Les méchants, pour moi, c’étaient les Indiens, évidemment.
Comment penser autrement,
Quand ‘’’Visages- pâles’’, spécialistes de la contre- façon,
Voulant cacher leurs exactions,
Vous présentaient l’histoire à leur façon,
S’exposaient en innocentes victimes
De la cruelle barbarie de sauvages, de moins que rien?
La propagande pro américaine était gobée par moi, enfant, comme un bonbon.
Quand j’étais petit enfant,
Je faisais le travail des grands.
Je cherchais du bois pour la cuisson des aliments,
J’allais aux champs chercher de quoi
Nourrir vaches, lapins, cochons,
J’aidais à planter maïs, haricots, lentilles,
Sous l’œil vigilant des grands.
Les récoltes se faisaient avec la famille, les voisins, les amis.
Tout le monde donnait un coup de main.
Un bon repas avec un peu de vin
Etait la récompense à cette solidarité spontanée
Qui, avec ses rires et ses chants,
Donnait au travail un air de fête,
Changeait fatigues et peines,
En joyeuses émotions.
Je suis devenu grand.
Je ne suis pas forgeron.
Mais j’ai gardé de mon enfance,
L’attirance du plaisir à jouer un peu,
Avec le fer, avec le feu.
Je donne vie, du moins, je m’applique à le faire,
A un vieil outil, un bout de fer rouillé,
Que je transforme en animal, en homme, en femme ou en objet.
Cela suffit pour me rendre heureux.
Par contre, je suis devenu papa,
Je suis devenu maître d’école,
Un peu plus pédagogue, moins intransigeant,
Qu’aux premiers temps.
J’ai raconté à mes élèves,
La guerre des Indiens avec les Blancs.
Les Indiens sont redevenus les bons,
Les héroïques victimes qui ont défendu avec courage
Leurs terres, leurs traditions, le droit de vivre autrement.
Je fais aussi un peu de cuisine,
Avec plus de réussite, heureusement !
Je n’aime toujours pas les curés.
Je hais les guerres pourvoyeuses de chair à canon,
Responsables des cimetières d’innocents.
Souvent, j’y songe : je veux redevenir petit enfant.