Les dix mots (3)

Publié le par Monique MERABET

                                           Dernier stage pour la route !

                                                                                  (Claude Guillon Labetoulle)

 

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                   Dans son laboratoire , avec soin et sérieux, pendant plus de quarante deux ans, elle a travaillé en silence, sans jamais rechigner ni prendre de congés .D’accord, deux fois elle s’est laissé aller : deux années à mi-temps pour soigner son cancer et dix jours d’arrêt pour une cheville luxée. On pourrait donc considérer que cette retraite elle l’a bien méritée.

Quoique ! A la veille de faire ses adieux on lui tient un discours à vous escagasser le plus placide d

es bovins.

            

              On pourrait croire à ce qu’ils disent que la retraite c’est la pire des galères : il faut intensément s’y préparer par un bon stage, bien orchestré. Le discours monte, enfle, va crescendo . On ne peut s’empêcher de repenser à toutes les variantes des pieux  sermons des vieilles religions qui savaient si bien démontrer sans sourciller que le plaisir est un péché, un très gros handicap sur le chemin du paradis ! Les voilà convoqués , elle et ses congénères, candidats aux délices d’un repos enfin gagné et ils se retrouvent coincés.

           

            Ils auront le privilège pendant plusieurs d’affilée de se livrer tous ensemble, tous ensemble à de passionnantes et fructueuses remue-méninges. Sous la houlette d’un mentor patenté, dûment rémunéré par l’administration ils pourront explorer les arcanes des possibilités offertes par tout ce temps vacant, terrible abîme béant dans leurs vies désormais sans but et sans repaires. Et là, ils commencent à se demander si ce n’est pas quelque Cheval deTroie, destiné à les déstabiliser. Comment ne pas éprouver quelques doutes sur le bien-fondé de leurs rêves de calme et de sérénité, de lectures et de siestes, de voyages ou de jardinage, comment ne pas se mettre à culpabiliser ? Ne serait-ce pas là le mobile sous-jascent de cette sollicitude affichée ?

             

          En bonne fonctionnaire c’est décidé elle va obtempérer et ne pas se soustraire aux bienfaits de cette extraordinaire avancée sociale…Mais si quelqu’un la voit sourire béatement au cours de ces journées, il ne devra pas s’en étonner. Elle a quand même retenu quelques leçons de la modernité et grâce à son baladeur bien camouflé elle peut écouter sa musique préférée et zapper allègrement les discours constipés.

Vivent ses rêves de nouvelle retraitée !

bord de mer 22

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