Les galets de la mer
LES GALETS DE LA MER
Un bout de rivage du côté de Sainte-Marie. Qu’elles sont belles les lianes-dont-je-ne-sais-pas-le-nom et qui composent des guirlandes lumineuses à chaque arbre, à chaque talus… Jaune, blanc et ce rose nénuphar translucide ! Émerveillement…
Fleurs d’une même liane
tant de roses différents
ou la lumière
Émerveillement aussi à contempler tous ces galets du bord de mer. Sous leur apparente uniformité, quelle richesse de formes, de teintes à observer, à choisir, à photographier, à reposer, à emporter… pas celui-là, non, trop lourd !
Quelle variété de dessins gravés par l’océan, par la houle qui les roule et les lisse sans jamais de repos ! Ils sont gris basalte, beige ou rosés, verts avec des zébrures orange, plus rarement noirs ; parfois affleure l’éclat blanc d’un insolite fragment de corail dévoyé par les courants de la lointaine barrière d’un lagon.
Je n’ai pas vu de galets-cœurs mais des pyramides, des kalous, des œufs – la mer, t’as de beaux œufs, tu sais – des presque sphères : tout un cosmos particulier d’astres pas encore finis ou ratés que les flots apprentis rejetteraient sur les bords pour cause de non-conformité.
Ainsi, chaque caillou a son histoire inscrite dans les lignes qui le sillonnent, dans cette brisure parfois, dans ces petits trous creusés par le frottement d’une roche plus dure au cœur d’une veine plus tendre, plus poreuse.
Sous mes pieds
mémoires de pierres
que le ressac n’atteint plus
Chaque caillou a son histoire ; et leurs histoires rassemblées dans ce grand livre minéral, murmurent sous mes pas qui trébuchent à cause de leurs irrégulières rotondités. Sérénité d’un champ de pierre.
La mer et la fureur de ses déferlements, et le mystère de ses profondeurs abyssales, produit en moi un sentiment d’inquiétude, d’effroi : sentiment d’îlienne qui « tourne le dos à la mer », à l’élément liquide incontrôlé. Mais j’aime ce que les flots abandonnent sur le rivage : laisse de mer, cadeaux changeants offerts inlassablement par sa généreuse abondance.
Bord de mer
dans chaque caillou une âme
- mon âme
J’aimerais raconter leur histoire, leur inventer un haïku, prendre en compte leur existence anonyme de cailloux que l’on ne distingue pas les uns des autres. J’aimerais m’inspirer des calligraphies océanes que le temps leur grava : créer des haïcailloux.
Ne seraient-ils point blocs arrachés à quelque caverne des profondeurs qu’un peuple de créatures étranges - qui me ressemblent ? qui ne me ressemblent pas ? – auraient couverte de fresques pariétales et dont ne me parviendraient que d’infimes éclats ?
Le gris du galet
retrouver trace de l’art
d’un possible ancêtre
J’aimerais aussi retrouver quelques réminiscences d’une pré-naissance : ne dit-on pas que notre humaine (animale) apparence est issue d’une primordiale mer ?
Renouer le fil d’une mémoire archaïque de ce que je fus, d’un ancrage immémoriel dans ce composé de matière et de ce qui n’a pas de nom. Un galet est pierre et roche chimiquement décomposable, accessible à mon esprit scientifique. Mais il est aussi trace de voyage au sein d’une éternité que mon intelligence ne saurait quantifier mais qui demeure plus proche de ma nature terrestre que toutes ces galaxies d’étoiles au-dessus de ma tête.
Et puis ces cailloux empilés par d’invisibles forces, ne sont-ils pas témoignages du souffle de création qui m’a engendrée et leur destin ressemble au mien : fragments de solides voués à la poussière finale. L’Esprit souffle où il veut. Et les galets du bord de mer ont une âme qui émeut mon âme d’un sentiment de fraternelle unité.
Mes pas épousent
l’arrondi d’une pierre
empreinte d’une étoile
(Monique MERABET, 26 Août 2013)