Mercredixmots (5)

Publié le par Monique MERABET

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VOUS AVEZ UN MOBILE ?

 

 

 

Rue Maréchal Leclerc, devant La Poste. Je me fais alpaguer par une jeune femme au sourire charmeur.

- Accepteriez-vous de répondre à quelques questions ? C’est pour un sondage… organisé par…

Elle bredouille un nom que je ne connais pas, que je ne comprends pas. Qu’importe !

Sans me laisser le temps de répondre, elle enchaîne (petit truc de pro du sondage)

- Avez-vous un mobile ? De quel opérateur ?

Pas le temps de réfléchir, de peser le pour et le contre. Je réponds. Je me dis qu’il doit s’agir là d’une démarcheuse pour un nouvel opérateur, libre concurrence oblige, et que je vais me débarrasser vite fait de l’intruse. Je n’ai pas l’intention de changer d’entreprise de téléphonie.

Me sentant ferrée, le beau sourire me plante là et me confie à une collègue munie d’un stylo et d’une liasse épaisse. Le questionnaire ? Elle ne sourit pas du tout, celle-là.

L’enquête commence sur le trottoir… à l’ombre. Puis, aussi sec, elle m’entraîne vers l’immeuble d’en face ; il y a des documents à consulter me souffle-t-elle.

Nous traversons un sombre couloir, empruntons un ascenseur mal éclairé pour déboucher sur une enfilade de bureaux où s’affaire toute une équipe de jeunes enquêteurs/enquêtrices sans doute recrutés pour l’occasion. Une ruche insoupçonnable de l’extérieur avec un petit côté atelier clandestin… J’en ai presque le frisson…

Mon enquêtrice dégage un bout de table et nous nous installons en vis-à-vis. Je reste méfiante, me demandant à quel moment elle va me basculer les avantages que j’aurais si je changeais d’opérateur.

Comment ai-je connu mon fournisseur actuel ? Depuis combien de temps ?

- Nous y voilà : me dis-je.

Je tente un peu d’humour, celle à qui « on ne la fait pas » :

- Oh ! Je n’ai pas eu le coup de foudre pour O ! J’ai pris ce qui se présentait à moi, l’unique opérateur à l’époque.

Elle garde le visage fermé, concentrée sur son questionnaire. Je la trouve un peu pâlotte ; elle n’a pas l’air dans son assiette. Un début de migraine, peut-être. J’ai failli lui suggérer de prendre un cachet d’aspirine.

Elle ouvre un classeur. Á ma grande surprise tout est au nom d’O, mon fournisseur. Et je finis par comprendre qu’il s’agit pour moi de noter –à l’aide de jetons parfois… z’ont rien trouvé de plus ludique ? – les services passés, présents et futurs, d’O. Je me prête au jeu, feint d’éprouver un enthousiasme de béotienne découvrant toutes les merveilles commerciales proposées, de mirifiques réductions pour des hôtels dans lesquels je ne mettrai jamais les pieds, pour des sports que je ne pratiquerai jamais… Je trouve ça longuet.

C’est alors qu’on bascule dans l’absurde ! Elle me demande d’apprécier de la même façon les savoir-faire commerciaux de la boîte concurrente S. Je pense qu’elle va me présenter un catalogue de S. Mais non…

- Vous devez bien connaître ce que proposent les autres opérateurs, me dit-elle tout de go.

Ben non… Je n’ai pas la télé, je ne lis pas les journaux… Non, je ne saurais répondre à ce genre de questions.

L’affolement se peint alors sur son visage ! Je pouvais presque lire ses pensées.

« Ça, c’est le bouquet ! Non ! Elle ne va pas me faire ça ! Pour une fois que j’avais mis la main sur une gogoz* de plus de soixante ans… les vieux ne s’arrêtent pas volontiers, quand ils ne vous disent pas : ma fille à mon âge qu’est-ce que je ferai d’un téléphone mobile, ou bien qu’il faut leur répéter (crier) les questions dans leur oreille encore valide… Zut alors ! J’ai perdu du temps avec celle-là, cela va faire baisser ma moyenne ; ils ne me reprendront pas demain… »

J’ai pitié de mon interlocutrice. Je me dis que je vais répondre n’importe quoi… je me sens si peu concernée ! Je lui annonce, pince sans rire que, par souci d’équité, n’est-ce pas, je vais donner les mêmes notes à S qu’à O.

Elle ne moufte pas, coche, coche, coche ses petites cases. Juste une réaction soupçonneuse devant la bizarrerie de mon geste mettant tous les jetons rouges sur la même proposition. Et puis ; elle doit se dire que ça ne doit pas toujours tourner rond sous ces couronnes de cheveux blancs. Elle se contente d’enregistrer.

On a fini. Ouf ! Elle me remercie du bout des lèvres. Et revoilà la fille au beau sourire qui me ramène au soleil de la rue. Je risque une question :

- Pour qui faites-vous ce sondage ?

Et la réponse en sourire toujours, a de quoi me laisser perplexe :

- On ne sait pas encore. Sans doute pour O ou pour S…

Et le sourire me quitte pour aller appâter d’autres sondés.

Réflexion faite, je crois avoir compris l’ingéniosité de celui qui a généré le sondage : laisser les sondeurs dans l’ignorance afin de protéger  les réponses des sondés d’une possible influence.

Wouah ! Je suis fière d’avoir participé avec sérieux et indépendance aux subtilités du marchandising.

Comme dirait Brel

Alors pour un instant, pour un instant seulement…

Beau, beau… beau et con à la fois

 

Petite question subsidiaire, très obsolescente… mais je la pose quand même.

Lors de la saisie informatique, qui empêche l’opérateur de modifier les réponses à son gré ? Il y a un contrôle ? Comment ?

 

(Monique MERABET, 18 Février 2013)

 

*gogoz : une personne, souvent d’un certain âge qui se laisse facilement berner

 

 

 

 

Publié dans Dix mots

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Commenter cet article
M
<br /> Qu'est ce que j'ai rigolé ! Et en même temps, oui c'est un peu pathétique ...<br />
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M
<br /> <br /> Pathétique, c'est le mot qui convient Patricia. Cela me fait frémir de voir à quoi s'occupent la plupart des hommes. Alors qu'on pourrait être si créatifs en poésie, par exemple. Voilà qui ferait<br /> avancer l'humanité.<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> Ah! le bonheur des sondages...et le sérieux avec lequel certains les invoquent! Tu n'es pas trop ironique là? Merci pour le mot que je viens d'apprendre, même si 'gogoz' évoque un peu les<br /> margozes...mais nou lé pa amèr.<br />
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M
<br /> <br /> Ben oui... Des fois j'ai l'art de perdre mon temps...<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> hahaha ! En lisant le titre de ton texte (encore une fois chapeau, il me semble avoir vu en passant les dix mots de la francophonie !) j'ai pensé qu'il s'agissait de la question<br /> d'un policier qui vient d'arrêter un criminel !<br /> <br /> <br /> - Vous avez un mobile pour votre crime ?<br /> <br /> <br /> - Eh ben, Monsieur l'agent, mon seul mobile c'est de rester mobile - et de me sauver à toutes jambes quand je vois qu'on veut me vendre un mobile.... ou de me rendre mobile, quant au<br /> fournisseur de services de ... mobile !<br />
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M
<br /> <br /> Ah! Tu ne l'as pas raté le petit clin d'oeil du titre. Je ne sais pas si un (vrai) policier apprécierait l'humour de ta réponse. Moi, j'ai adoré. Merci pour ces échanges.<br /> <br /> <br /> <br />
D
<br /> Excellent, Monique ! Tu me donnes envie de proposer pour thème "l'absurde", pour un prochain écho...<br />
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M
<br /> <br /> Merci Danièle<br /> <br /> <br /> A un prochain écho donc!<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Monique est " bien bonne " ! A la moindre demande de sondage, je dis que je suis le secrétaire de telle Congrégation... C'est vite fini.<br />
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M
<br /> <br /> Tu veux dire que je suis un peu "pigeonne", Marcel? Bah! Tant que je ne vole as!<br /> <br /> <br /> <br />