Savez-vous conter la lune? (13)
L.U.N.E.
(Christian FONTAINE)
Lune pour t’évoquer j’ai besoin d’un peu d’inspiration. Alors je fais appel à Calliope la muse de l’éloquence pour émouvoir quelque peu mon auditeur et mes nombreuses auditrices.
D’ici bas quand je te regardais enfant, je voyais ta forme ronde couverte de verrues veillant comme un soldat sur un monde blafard sans becs de gaz. Tu étais là à nous observer certains soirs au milieu d’étoiles inconnues et que je n’observais à la lunette que bien plus tard. Parce que le monde changeait, s’enflant de technologies effroyables, ce monde qui semblait dire : on t’attend au tournant. Ce monde qui montait des gratte-ciels obligeant à lever la tête a un œil sur toi. Et il réussit à monter jusqu’à toi, à te piétiner, pensant qu’un jour il te bétonnerait aussi. Alors pensai-je tu perdrais tes rides de vieille dame incapable de refléter les rayons du soleil sur la Terre.
Ô lune, ne laisse pas les hommes te prendre des bouts de ta robe pour les analyser, les commenter et percer les mystères de ton éternelle rondeur.
Ne sentent-ils pas ta force qui fait bouger la mer avec son flux et son reflux, ton sex-appeal qui donne des idées aux jeunes mariés en lune de miel, ta présence-absence qui rappelle le soleil, ce grand frère lointain, avec qui tu t’amuses parfois à jouer des tours aux Terriens. N’as-tu pas un jour au temps des Césars joué un vilain tour aux Barbares qui étaient venus défier les légions romaines ? Qu’as-tu fait ? En plein midi, au plus fort de la bataille, tu as favorisé les Romains, avertis par leurs astronomes de l’éclipse de lune. Et les Barbares ont pris peur, de ce « fait-noir » soudain et inattendu et les Romains en ont profité, les hachant menu. Ah ! Lune, tu peux créer comme ça du bonheur chez les uns et de la détresse chez les autres.
De tout temps tu as compté pour les hommes qui ont créé des calendriers lunaires, qui ont donné ton nom au premier jour de la semaine, lunes dia, moon day, lundi et pour le jour suivant ils ont même pensé à une lointaine copine à toi Mars, mardi. Tu sais bien que sans toi pas de ramadan sans que l’imam ne t’ait entraperçu derrière un fond de nuages gris. C’est vrai que tout le monde ne te tient pas en haute estime car lorsqu’on dit que quelqu’un est mal luné, c’est quand même toi qui es visée. Mais je sais, tu n’y es pour rien. Peut-on d’ailleurs imaginer ta mort ? Parce qu’on dit que tu n’es qu’une planète morte, qu’un amas de poussières agglomérées, qui fait encore la belle, qui se montre la nuit comme une putain au voile léger, qui fait hurler les loups en mal d’amour pour toi, loin là-bas au Canada.
Oui tu continues à parcourir notre Univers d’un pas de sénatrice, resplendissante les nuits de pleine lune, énigmatique les nuits sans, et quand l’envie te prend de faire un régime, tu n’es plus qu’un croissant de lune. Les nanas t’envient de jouer comme ça avec ton corps. Chaque mois tu es toute pleine, toute ronde, toute sensuelle montrant à peine quelques vergetures, tu as l’air de chanter comme Véronique Sanson :
« S’il te plaît, je voudrais aller à Bahia
Je l’ai bien vu dans la lampe d’Aladin
Je retiendrai deux places dans l’avion
Très loin du son des accordéons
Et je t’aime, caresse-moi
Le matin, on ira voir l’eau de Bahia
Il n’y a pas d’ouragan c’est un mot païen
Les jours de pluie qu’est-ce que ça veut dire
Les jours de pluie ne reviendront pas
Et je t’aime caresse moi
Tour à tour, l’eau sauvage et l’eau vagabonde
Viendront faire près de toi leur chemin de ronde
Les jours de pluie qu’est-ce que ça veut dire
Les jours de pluie ça me fait bien rire
Et je t’aime, caresse-moi. »
Mais à mesure qu’on te regarde, qu’on t’épie, tu deviens gibbeuse, et puis même tu disparais, cachant toutes tes formes généreuses, mais pas pour longtemps, coquine va !!
Et tu chantes : …. Caresse-moi…