Granmèrkal (2)

Publié le par Monique MERABET

La Mèrkal de Saint-Leu.... Suite.

                                                                   (dessin Huguete PAYET)


Marc imagina alors de donner vie à la Grand-mère. Á l’aide d’un balai, d’un jupon noir en lambeaux qui servait de serpillière et d’un vieux pot de chambre percé, on confectionna une Mèrkal plus que présentable ; la lueur d’une bougie placée à l’intérieur de la tête donnait l’impression d’un regard de braise saisissant.

Dès que Julien parut ce soir-là, Marc le mena directement auprès de l’apparition. Je ne sais si notre épouvantail était vraiment terrifiant ou si l’imagination exacerbée de Julien le transforma comme tel mais, quand apparut la grotesque silhouette, le garçon, épouvanté, détala.

Malheureusement pour lui, ce jour-là, Mademoiselle Philomèle revenait d’une veille et continuait chemin faisant le chapelet qu’elle avait sans relâche égrené pour le repos de l’âme du défunt. D’aspect plus funèbre que jamais, elle avait fixé sa lampe autour de sa tête coiffée d’une espèce de toque informe. Au détour d’un mur, elle offrit l’incarnation presque parfaite de notre bouffonne marotte à la vue du fuyard qui, se croyant cerné par les mèrkals, en demeura pétrifié et bégaya éperdument en la désignant : « Granmèr Kal ! Granmèr Kal ! »

Bien entendu, la susceptible vieille fille ne supportait pas qu’on se moquât d’elle et pour une âme pieuse comme la sienne, c’était suprême injure que de se voir identifiée à cet être pour le moins démoniaque qu’elle n’évoquait jamais sans se signer sept fois à l’eau bénite. Animée d’une sainte fureur, elle se saisit du garçonnet paralysé et Julien subit les cinglantes attaques de la baguette de pêcher qu’elle maniait avec dextérité.

Il fallut l’intervention providentielle de Louise pour arracher la victime aux griffes de Mèrkal… Heu ! je veux dire de Mademoiselle Philomèle.

La nénène dut aussi déployer force diplomatie pour obtenir que l’affaire ne s’ébruitât pas jusqu’aux oreilles peu indulgentes des parents.

La demoiselle outragée consentit à pardonner l’offense contre la promesse de faire dire une messe pour les âmes du purgatoire, et surtout de nous faire réciter quelques dizaines de chapelet à genoux sur des graines de filaos, pénitence que notre chère Louise adoucit en enterrant les piquants akènes dans le sable.

 

Lorsque j’ai revu Julien, il y a un mois de cela, trente années s’étaient écoulées et lui, comme moi, nous avions eu à déplorer bien des deuils.

Bien sûr, nous avons évoqué les vacances de Saint-Leu et Julien m’a confié que, chaque fois que survenait un de ces évènements malheureux, il voyait la veille lui apparaître en rêve… Mademoiselle Philomèle ! et qu’une brûlure semblable à un coup de fouet le réveillait.

Julien était accompagné de son fils aîné et le jeune homme nous écoutait, l’air condescendant, égrener nos souvenirs de fantômes. Pour nous montrer qu’il n’était pas du tout impressionné par nos histoires, il a rétorqué que lui aussi voyait parfois des vielles femmes en noir visiter ses rêves et que pas plus tard que la nuit dernière…

Sur le moment je n’ai accordé aucune importance à ses propos ; mais le lendemain, le journal m’a appris que Julien avait été victime d’un accident de la circulation et qu’il n’avait pas survécu à ses blessures.

Publié dans SORCIERS

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I
<br /> Dure la chute, alors qu'on était embarqué dans un espèce d'halloween.<br /> Mais la vie, la vraie, nous rappelle parfois durement vers de dures réalités.<br /> <br /> <br />
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B
<br /> Les souvenirs d'enfance sont souvent propices à l'inspiration.Bonne soirée!<br /> <br /> <br />
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