Y a l'compte (Anick BAULARD)
Y a l’compte !
(Anick BAULARD)
Quand on lui avait téléphoné de la banque pour lui annoncer que son compte était presque vide, elle était restée hébétée, sonnée pour le compte. Ce n’était pas possible, comment avait-elle fait son compte ? Bien sûr, elle s’était acheté pas mal de fringues, le mois dernier. Depuis qu’elle avait compte ouvert chez « Tendances », elle ne faisait plus le compte des petites robes sympas et des tailleurs chics : Quand on aime, on ne compte pas ! Non, elle ne s’était pas rendu compte de la somme astronomique qu’elle avait engloutie. C’était effarant !
Le banquier l’avait prévenue, si elle ne réapprovisionnait pas son compte courant avant quinze jours, elle serait « en rouge » à la Banque de France… Et compte tenu qu’on était le 2 du mois et que la prochaine paye n’arriverait que le 27, le compte à rebours devenait bien angoissant !
Alors, les comptes d’apothicaire avaient commencé à l’obséder. Voyons, cette fourrure rachetée à bon compte à une copine désargentée, elle devait bien valoir quelque chose sur e-bay. C’est comme la collection de timbres de son grand-père : elle n’avait jamais fait le compte, mais il devait y en avoir au moins cinq mille, de timbres ! Elle pouvait y ajouter le luxueux et importable sac en croco acheté un jour de folie douce et qui lui avait fait vider le compte épargne (ce jour-là, d’ailleurs, son mari lui avait demandé des comptes et l’avait finalement quittée, laissée pour compte) . Il fallait voir… Mais même si elle parvenait à vendre tout cela, au compte-gouttes, elle se rendait bien compte qu’elle serait encore loin du compte. Alors que faire ? Emprunter ? Sûrement pas ! Elle ne voulait avoir de comptes à rendre à personne ; et puis, ne dit-on pas : « Les bons comptes font les bons amis ? » Alors, les mauvais… Et puis elle entendait déjà les réflexions : « Mais comment as-tu fait ton compte ? » Non, décidément, à ce compte-là, mieux valait encore faire le compte de tout ce dont elle était décidée à se séparer et se rendre chez « Ma tante ». Elle y abandonnerait tout ce qu’elle pourrait, pour solde de tout compte.
Elle en était là de ses comptes et décomptes quand elle s’aperçut que le facteur (un nommé Lecompte !) était passé. Outre le relevé de compte qu’elle n’ouvrit même pas, une élégante enveloppe blanc cassé l’attendait dans la boîte. « Madame, nous avons le plaisir de vous informer que votre manuscrit a retenu toute notre attention et que nous allons le publier, à compte d’éditeur. A compter d’aujourd’hui, nous sommes heureux de vous compter parmi les auteurs de notre catalogue. Veuillez passer le plus tôt possible à nos bureaux afin que nous puissions vous verser un acompte sur vos droits d’auteur ». Et voilà ! Il fallait toujours tenir compte du possible miracle ! Elle en était sûre, maintenant, avec la coquette somme annoncée sur la lettre et celles qui suivraient, le compte était bon !
Ah oui, en fin de compte, elle avait eu une bien bonne inspiration le jour où elle avait entamé l’écriture de ce manuscrit : un livre… de contes, bien sûr !
Anick Baulard
J’ai fait le compte : il doit y en avoir 42, mais je peux me tromper, je n’ai jamais été bonne pour compter !