Haïbun au fil de l'eau
HAÏBUN AU FIL DE L’EAU
(Mais est-ce un haïbun ?)
Premier Février
pour la première fois
un lézard me regarde
Matin de gouttes. Je me demande, en ouvrant les volets, quelle sera la merveille du jour. Peut-être justement, cette minuscule goutte qui pend à la large feuille de l’arbre à pain ?
Attirance de l’eau qui me remplit de joie. Une affinité substantielle avec cet élément : mon corps n’est-il pas constitué de 60 % d’eau ? Enfin, sûrement beaucoup moins en cette saison de continuelles suées.
La micro balade d’hier autour de la pièce d’eau du Jardin de l’État. Celle aux lotus… Au bord de l’eau tout m’est sensation, tout m’enchante, tout me retient.
J’ai fait le tour à petits pas sur le large rebord de pierre. Je pourrais tomber ? In vië moune la kalbïte dann fon basin, la mor noiyé… Je me fais peur en mettant un peu de piment à ma déambulation.
Je resterais là pendant des heures, fascinée par les mille facettes du monde aquatique. Des heures… mais je dois me contenter de l’éternité incluse dans de trop brefs instants. Je quitte à regret le fil de l’eau, happée par d’autres nécessités incontournables.
Le chemin du retour… Combien ont dû s’étonner de voir la petite dame avec son drôle de petit chapeau en toile (celui de maman, ô passant !) s’arrêter soudain, sortir crayon et carnet rouge pour y inscrire une mystérieuse pensée. Les haïkus se forment et se précisent au rythme de mes pas.
Les voici, en vrac !
balade haïkiste
l’abeille dans le silence
des lotus
1, 2, 3, 4, 5,
corolle entrouverte
compter les abeilles
le temps d’un feu rouge
mandala
d’une graminée
est-ce l’abeille ?
est-ce le vent ?
frémissement de lumière
les ombres glissent
au toboggan
des pétales
sans jets d’eau
le bassin du Jardin de l’État
vieil étang
balancement
l’abeille prend son temps
au giron de la fleur
l’erre des poissons
le vent sème mes initiales
m m m m m m
ces frissons sur l’eau
sous l’énorme sang-dragon
il fait du taïchi
ni l’abeille, ni moi,
ne nous lassons des lotus
(Monique MERABET, 1er Février 2014)