La mer qu'on voit danser (10)

Publié le par Monique MERABET

La mer qu'on voit danser (10)

LES BLEUS DE LA MER (4)

Par malheur, les hommes sont entêtés, et lorsqu’il leur vient une idée, ils s’y accrochent et ne la lâchent pas facilement. Surtout s’il s’agit de cette terrible engeance de pirates qui sillonnent les océans à la chasse aux trésors. Ces forbans sont prêts à commettre n’importe quel crime pour pouvoir empiler sac d’or sur sac d’or qu’ils mettent en sûreté au fond de grottes secrètes situées dans des ravines quasi inaccessibles.

Parmi eux, il en était un, encore plus cupide et méchant que les autres ; celui-ci aurait vendu sans vergogne sa mère, sa femme, ses enfants. Il aurait même vendu son âme pour pouvoir mettre la main sur les richesses de Milazur. Il se vantait souvent en émettant un ricanement tonitruant qui découvrait ses horribles chicots jaunis.

Ventrebleu ! Quand j’attraperai ce satané roi, je lui couperai la tête et je lui boufferai tout son bleu avec un grain de sel.

Aussi l’avait-on surnommé « Bouffe-le-Bleu ».

Le bateau de Bouffe-le-Bleu portait un nom qui traduisait bien l’humeur exécrable de son propriétaire. Il s’appelait « Le monstre des mers ». Fréquemment, le navire rôdait dans les parages de l’île au trésor d’azur. Mais ce braillard mal embouché de Bouffe-le-Bleu avait beau égrener tout le chapelet de jurons qu’il connaissait – et Dieu sait qu’il était expert en jurons si abjects que je rougis de me les rappeler – il n’avait jamais pu accoster sur l’île de Milazur. J’étais alors la plus forte.

Un jour, Bouffe-le-Bleu aborda une petite île encore inconnue, qui n’était même pas mentionnée sur les cartes de navigation. Il voulait faire le plein d’eau. De l’eau ! Non, bien sûr, ce n’était pas pour en boire ; chacun sait que les pirates n’ingurgitent que du rhum au piment ou tout autre breuvage qui leur met le feu aux estomacs. L’eau, ce n’était pas pour se laver non plus : on n’avait jamais vu d’êtres aussi crasseux et repoussants que les pirates qui constituaient son équipage. Bouffe-le-Bleu souhaitait seulement remplir quelques barriques pour assurer la cuisson des haricots, l’essentiel de leur nourriture.

L’île où mouilla « Le monstre des mers » était encore inexplorée et inhabitée… du moins par les humains. Pour moitié, c’était un petit paradis que les oiseaux de toutes les couleurs (sauf le bleu, bien entendu) emplissaient de leurs joyeux gazouillis. Pour moitié, elle abritait un volcan qui crachait du feu sans s’arrêter.

Et, - mon cœur se serre, rien que d’y repenser – quand il y a un volcan en activité quelque part, Grandiab n’est pas loin. En fait, il s’était installé, comme pour un changement d’air, dans une grotte duplex, en plein milieu de la lave en ébullition. Il vivait là, en bienheureux : les températures élevées des lieux lui convenaient parfaitement car elles lui rappelaient son enfer bien-aimé.

La présence du méchant Grandiab n’était guère gênante puisque l’île était inhabitée. Seulement, Grandiab, c’est… Grandiab et il ne faut pas s’attendre à ce qu’il reste tranquille dans son coin. S’il n’a personne à tarabuster, à martyriser, il manque à son bonheur un petit goût de braise et il s’ennuie comme un incendie sans vent. Aussi, lorsqu’il apprit que Bouffe-le-Bleu et son équipe de malfaisants avaient débarqué sur son île, il dépêcha son oiseau papangue, Zizani pour leur porter un message. Il donnait rendez-vous au pirate à minuit sonnant, sous un gros manguier à la croisée de deux sentiers. Il souhaitait lui proposer une affaire d’importance.

Aucune créature sensée n’accepterait une telle rencontre. Elle prendrait ses jambes à son cou sur le premier chemin qui se présenterait, dut-elle se trouver entraînée jusqu’à la lune ou dans le sillage d’une comète. Bouffe-le-Bleu, lui, déclarait n’avoir peur de rien et il se rendit seul au rendez-vous.

Le marché était simple : les pirates amèneraient des humains pour peupler l’île déserte et en contrepartie, Grandiab leur donnerait la marche à suivre pour dérober impunément le bleu de Milazur.

à suivre.

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