La mer qu'on voit danser (15)
PREMIER ÉPISODE
C’est au bord de la mer bleue
Que le paille-en-queue tout blanc
Rencontrant un cerf-volant
Le prit pour l’oiseau de feu.
Il lui fit mille saluts,
Lui dit mille compliments ;
Impassible, le cerf-volant
Resta muet… bien entendu.
Le paille-en-queue fort marri
Se dit : « C’est parce que je suis tout blanc
Que cet oiseau, si beau, si grand,
Ne me veut point pour ami. »
Une idée fixe l’obséda :
Il me faut, comme l’aurore
Transformer mes ternes appas
En somptueux traits multicolores.
Dans un arc-en-ciel de passage
Il plongea et replongea.
Hélas ! sur son triste plumage
Aucune teinte ne se fixa.
DEUXIÈME ÉPISODE
Les poissons dans l’eau claire,
Se mouvaient en féerie,
En kaléidoscope de lumière.
Le paille-en-queue fut ébloui.
Aussitôt, il questionna :
- Comment faire, comment faire
Pour posséder tout l’éclat
De vos couleurs extraordinaires ?
- Chez nous, c’est le Grand Requin Blanc
C’est notre Roi tout puisant
Qui peint, à notre naissance
Nos écailles, à sa convenance.
- Mais, dis-nous, pauvre paille-en-queue,
Toi qui danses dans les cieux
Comment peux-tu prétendre
Au royaume des eaux, descendre ?
- Et, pourquoi changer de plumage ?
Dit un poisson clown bariolé ;
Ici-bas, de son image,
Chacun doit se contenter.
Le paille-en-queue entêté
N’accepta pas la sagesse
Des propos qu’il jugea résignés.
Il repartit, plein de tristesse.
TROISIÈME ÉPISODE
Notre paille-en-queue, obstinément,
Voulut rejoindre le requin blanc
Et s’envola, petit point blanc
Au-dessus du vaste océan.
Le grand requin passant par là
Pensa faire un festin de roi.
Au creux du bec d’un pélican
Toublan fut sauvé de ses dents.
Dès lors, sans joie, tout amaigri,
Fantôme blême, il dépérit
Et songea même à s’exiler,
Cacher sa honte dans la forêt.
Quand en chemin, il découvrit
Une carcasse disloquée
Piteux objet de papier
Le cerf-volant gisait, sans vie.
Le paille-en-queue, revigoré,
S’en fut surfer avec l’écume,
Tout fier de ses si blanches plumes
E de son long, si long, plumet.