La mer qu'on voit danser (7)
LES BLEUS DE LA MER (1)
Chaque soir, donc, Marisette venait tenir compagnie à son amie la mer.
La petite fille chérissait particulièrement ces instants où toute la nature semblait respirer doucement, pour assister avec elle au cérémonial grandiose du coucher du Roi soleil. Le Prince de Lumière disparaissait lentement derrière l’horizon et la mer semblait le recueillir dans un berceau richement paré : éblouissante mosaïque piquetée de gouttelettes d’argent où tous les bleus s’enchevêtraient.
Marisette confiait à sa grande amie ce qu’elle avait appris à l’école, les folles galopades, les parties de cache-cache, les marelles sautillantes qui émaillaient les récréations ; elle lui racontait aussi ses fâcheries avec ses parents ou ses camarades, les espiègleries du petit frère ou encore le tendre sentiment qu’elle portait à Damien…
La mer, elle, était d’humeur capricieuse. Parfois, elle riait avec la fillette e lui contait de passionnantes histoires de poissons, de baleines, d’étoiles de mer et de crabes ; parfois, elle boudait, elle grondait après Marisette comme si elle avait quelque chose à lui reprocher. Alors, au lieu de lui lécher délicatement la plante des pieds, elle déchaînait sa mauvaise humeur sur les jambes de l’enfant, qu’elle criblait de fin gravier.
Un jour, Marisette se rebiffa :
- Arrête ! Ça fait mal ! Pourquoi me maltraites-tu ainsi ?
La mer lui répondit sur un ton aigre :
- C’est à cause du bleu de tes yeux, ce bleu que tu m’as volé.
Marisette l’interrompit.
- Ah ! Non ! Tu ne vas pas recommencer ! Je t’ai déjà expliqué pour mes yeux. Tu n’as rien à voir avec leur couleur.
- Qu’en sais-tu, petite prétentieuse ? Ça n’a même pas dix ans et ça prétend m’en remontrer, à moi qui ai vécu des milliers et des milliers de siècles. Qu’en sais-tu, si tu ne comptes pas un de ces pirates pilleurs de bleu parmi tes ancêtres ?
Là, Marisette comprit que la mer devait réellement souffrir, pour se montrer ainsi, agressive sans raison. Elle se fit conciliante.
- Écoute ! moi, je suis ton amie. Même si quelqu’un de mes ancêtres a pu te faire du mal autrefois, je ne suis pas responsable.
La mer se radoucit.
- C’est vrai. Tu ne peux pas être tenue responsable de mes malheurs. N’empêche que deux yeux d’un bleu aussi… aussi… insolemment bleu, cela fait resurgir des souvenirs bien douloureux.
Du coup, la curiosité de la petite fille fut en alerte et la poussa à demander :
- Et si tu me racontais ton histoire ? Tu sais, partager ses peines avec une amie, cela soulage, parfois. Comme dit ma tatie lorsqu’elle vient confier ses chagrins d’amour à maman. Elles pleurent un bon coup, toutes les deux, et après, ça va mieux.
- Ce n’est pas aussi simple que cela, soupira la mer. Mais je vais te dire ce qui m’est arrivé, il y a bien longtemps. Promets-moi seulement de m’écouter jusqu’au bout, sans m’interrompre.
- Promis ! dit Marisette qui se cala confortablement au creux des racines.
Et la mer commença son récit d’une voix assourdie, entrecoupée de soupirs.