Dessine-moi un champ de coquelicots
DESSINE-MOI UN CHAMP DE COQUELICOTS
Matin d’Août
l’alizé arrive
par mes pieds
matin lo moi d’out
la briz karabiné i komanse
par bèk mon doi d-pié
Dessiner un champ de coquelicots ? Du rouge et du vert… rien de plus facile. Hum ! Dire les couleurs, cela suffit-il à mon exercice de peinture à mots ? Il me faudrait, je crois, décrire leur dispersion, les figures pointillistes formées.
C’est déjà un casse-tête que de décider du fond : îlots rouges sur fond vert ou îlots verts sur fond rouge ? Á l’avant de la photo, c’est plutôt le vert qui domine ; à l’arrière, les lignes écarlates se sont resserrées, l’étendard sanglant est levé…
Paysage bicolore donc, archipel vert, archipel rouge, ce sera au gré de chacun. Alors, écrire une partition de mots pour deux crayons seulement ?
Holà ! Mais au-delà de l’horizon rouge, je vois poindre le jaune pâle d’autres champs, d’autres cultures. Et puis, ces traits argentés, là, dans le vert, dans le rouge, jaune paille de brins desséchés. Tige d’herbe ou de coquelicot ? Difficile à dire.
Un troisième crayon est nécessaire, peut-être même un quatrième… afin de capter la lumière, la laisser transparaître, sinon, mon paysage sera privé de reliefs, tout plat, raplapla, juste des pâtés de vert, de rouge, peinture « gros doigts »… mais, ce n’est pas moi qui peint, n’est-ce pas ?
Je bouge la feuille étalée devant moi – Non ! Alizé du matin, n’y mets pas ton tourbillon ! – les ombres et clartés se déplacent, se repositionnent à l’infini, dans le vert, dans le rouge. La peinture doit pouvoir rendre ce phénomène, les jeux du vent dans la prairie, celle dont j’ai exprimé l’exotisme dans ce devoir de composition, au temps où les coquelicots ne poussaient que dans mes livres d’enfant.
Ô peintres inspirés, comment avez-vous fait pour laisser la lumière entrer dans vos œuvres ? Tiens ! Il me faudrait recenser tous les artistes ayant peint des coquelicots… pour comparer, pour comprendre.
La lumière physique mais aussi la lumière des sentiments : l’amour, la ferveur ressentis en admirant cette image. Elle vient d’un journal picard, un supplément dédié à la poésie ; elle vient de l’amitié qui comble mon hiver de la beauté d’un rêve de coquelicots. Mettre l’amitié dans le tableau.
Ah ! Ne pas oublier… les empreintes discrètes des feuilles d’arbre à pain, celles que j’ai dissimulées l’autre jour… pour que l’on ne remarque pas mes traits maladroits. On les voit ? Oui, peut-être, un peu, en tenant le journal dans ma main gauche, juste sous le rayon de soleil passant au-dessus du paravent, en regardant de l’œil gauche, le mieux corrigé par l’implant bifocal. Oh ! Le camouflage est réussi.
Dire que je voulais parler du vent ce matin… Mais n’est-ce pas une éolienne que j’aperçois sur la photo, tout à droite ? Allez, on dira que j’ai composé le portrait d’un champ de coquelicots… à l’éolienne.
Une mouche explore
- trace sucrée de mes lèvres
rouges… le sait-elle ?
(Monique MERABET, 5 Août 2014)