Dire ou ne pas dire
HAÏKUS Á PARTAGER
(après l’atelier haïku avec les déficients visuels du 13-06-2014)
La force des haïkus. Après mon compte-rendu de l’atelier du vendredi 13, ce commentaire d’une amie participante :
« J’ai lu avec plaisir et une curiosité admirative ou un état d’émerveillement certain des haïkus faits par les uns et les autres. Quelque chose s’est délivré à travers les mots. »
Émotions partagées… c’est fou comme ce si petit poème peut déclencher le dire, ce qui affleure en soi. Curieusement, face à ce public d’adultes découvrant pour la première fois le haïku, je m’attendais à un départ difficile, des « je ne comprends pas », à la pelle. Et puis, rien de tout cela : chaque participant (bien voyant ou mal voyant) s’est investi pleinement dans la confection d’un… deux… trois tercets. Je ne suis intervenue que pour l’élagage des redondances et la mise en clarté des ressentis.
Tout se passait comme si, soudain, les haïkus leur donnaient la parole pour exprimer ce qu’ils ne racontent pas forcément d’habitude, ce qu’ils n’ont peut-être pas conscience d’avoir en eux.
Le haïku, moment de l’intimité révélée. Notre disposition en binôme voyant ordinaire/déficient visuel, a sans doute déclenché cette ouverture au partage avec l’autre, partage qui passe par la délivrance d’un petit quelque chose de soi.
Cyrille le jeune poète, venu là pour l’amour de l’écriture, avait du mal à intégrer cette dimension concrète, subtilement ouverte aux émotions d’un haïku. Ses premiers tercets n’arrivaient pas à viser juste : trop sentimentaux, ou codés par des images dont il avait seul le sésame. Il a fini par me demander : « Le haïku, on l’écrit pour soi ou pour le partager avec le lecteur/l’auditeur ? »
Pour moi, il n’y a pas d’écriture possible de haïku s’il n’y a pas ce désir de partage à l’origine ; c’est cette envie qui permet de donner tournure à un tercet satisfaisant l’auteur et intéressant le lecteur. C’est ainsi que Cyrille a compris ce qu’il devait mettre en haïku…
Sans doute pas la même chose que moi, ni que son voisin. Le haïku est un papillon de poésie. Il butine un peu de chaque âme sur laquelle il se pose ; il raconte chaque fleur de vie rencontrée et s’envole vers l’autre.
Puisqu’il ne délivre que la sensation d’un moment d’écriture ou de lecture, il est vain de vouloir l’épingler dans un cahier, dans un recueil, de le polir et le repolir jusqu’à une froide perfection redoutée.
Un haïku accompli nécessite un auteur, un lecteur et la transmission verbale de l’un à l’autre. Pour cet acte de partage, il convient donc de bien choisir les mots, les verbes, en dire suffisamment pour que le tercet soit accessible à la compréhension d’autrui. Se méfier des formes trop minimalistes qui ne sont compréhensibles qu’aux initiés.
Comme cet exemple choisi par moi aux fins de commentaires… avant le passage à l’écriture individuelle.
Bruissement
ce n’est que le vent
dans les feuilles
J’étais plutôt fière de mon 3/5/3 tout fluide, exprimant ce long moment passé à guetter le feuillage en imaginant l’insecte ou le lézard qui jaillirait… Le bide ! Mes « élèves » de ce jour là l’ont jugé plat, « pas très riche » m’a-t-on dit. Incapable de faire surgir une émotion chez l’autre, voilà qui est certain.
Le regard de l’autre, haïjin confirmé ou apprenti, apporte toujours un éclairage impromptu et permet une remise en question nécessaire. Écrire pour son plaisir nombriliste est un non-sens.
(Monique MERABET, 7 Juillet 2014)