Passerelles

Publié le par Monique MERABET

Passerelles

PASSERELLES

 

 

 

Des déficients visuels photographes, ça vous étonne ?

C’est ce que dit le texte d’invitation à pousser la porte de ce monde qui a perdu nos repères de la vue. 12 portraits de 12 photographes amateurs en situation de déficience visuelle à travers leurs réalisations.

LA PASSERELLE DES SENS (à La Bibliothèque Départementale de la Réunion)

Passerelles entre univers visuel et perception autre, c’est le nom donné à l’exposition sous l’égide du Comité local Valentin Haüy, regroupant des déficients visuels.

Déficience… Manque…

« Voir mal, c’est voir flou » dit une des participantes. Voir du flou, les contours du monde en flou. Ou pas de contours du tout. Inexistants.

Pardon, pas inexistants, terme impropre échappé à ma perception stéréotypée… Existants, bien sûr mais autrement.

La preuve en est pour ces images qui nous sont offertes en noir et blanc, des prises de vue de notre environnement familier, commun à tous, bien ou mal voyants. Mais qu’il faut savoir décoder, percevoir en suivant le mode du photographe avec sa perception à lui. Pour nous y aider, les photos sont accompagnées d’un document audio confiant des fragments de sa vie, de la musique qu’il aime, de tous ces menus détails qui tissent une existence.

Elle dit ce qu’elle ressent à l’atelier qu’elle fréquente, le calme – « J’entends les oiseaux chanter » - ses mains dans l’argile pour sculpter son arbre de vie. Un arbre, c’est comment ?

 

Comme un long frémissement

L’arbre vibre sous mes doigts

 

Ici, on peut toucher… On doit toucher : suivre le duvet accroché aux fils entremêlés, se laisser surprendre par le piquant d’une pointe, faire glisser entre ses doigts les graines (du riz ?) que l’on ne voit pas. Se constituer une mémoire tactile…

Il y avait les odeurs aussi, une essence spécialement choisie par l’artiste pour évoquer… un élément que je n’ai pas toujours perçu. Faute de prendre le temps de s’asseoir, de s’attarder, d’écouter l’autre, d’emprunter son chemin.

 

Elle, elle a souhaité photographier un avion, en plein vol. Reconnu au bruit ? Mémoire des formes : rond, carré, pointu…

Mais je me suis arrêté à ce petit bassin ; j’ai écouté le bruissement de la mer calme, le clapotis des vaguelettes. Mes pieds dans le sable, les grains qui collent à la plante des pieds, qui s’insinuent entre les orteils. Marcher jusqu’à la fluidité de l’eau léchant ma peau : les chevilles, les mollets, peut-être pas plus haut, c’est un tout petit bassin où barbotent les enfants. J’atteins vite la barrière de basalte érodé. Aspérités, creux et bosses, le grain de la terre et peut-être le pincement du petit crabe, rencontre impromptue d’un trésor aléatoire, qu’est-ce que c’est ?

La géographie à pieds nus…

Et le parfum iodé de l’océan. La mer, facile à raconter ?

En fait, pénétrer dans un univers que l’on croit familier, toutes lumières éteintes, chercher au fond de soi d’autres repères, d’autres échos de son corps : chant, parfum, saveur, toucher…

Ce n’est pas un exercice facile. Le cheminement vers l’autre est fait de lenteur et d’attention, de concentration surtout. Ne rien laisser échapper des passionnantes découvertes, de la nouveauté des sensations.

 

 

(Monique MERABET, 30 Octobre 2014)

Publié dans Evènements

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M
Ca me parle ! Le changement de repères sensibles, l'expression autrement, les sens bouleversés. Oui, ça me parle.
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M
Une expérience en tout point réussie, qui joue bien son rôle de passerelle des sens. C'est mon impression à moi aussi.
G
Merci pour ce beau témoignage.
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M
Merci à vous pour avoir réalisé ce bel échange.
M
aidons...
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M
En partageant le chemin de l'autre, de belles découvertes sur soi.