L'écriture en coins
ÉCRIRE EN COINS
Ma tonnelle de thunbergias aux piliers de jasmin, se dresse en guétali à l’entrée du jardin. Les lianes en accroche-cœur, accroche-plume, accroche abeilles ou mouches charbon, sont prêtes à s’enrouler autour de n’importe quoi, ou à servir de perchoir à ces petits papillons mauves dessus, Prince de Galles dessous…
Fleurs et rayures
pour mon sac cadeau
fait main…
J’aime les assemblages marronneurs de tissus et de motifs : ils me ramènent à l’enfance, à ces carrés disparates que j’ai si souvent aperçus aux mains des femmes de mon entourage. Ces textures si différentes au toucher, si féminines.
La toile est l’apanage des femmes, pas seulement pour leurs talents de couturières à domicile. Le tissu est mouvement, voile pour estomper, suggérer, voyager aussi… Et pour la douceur et l’art d’assembler, de réunir.
Tapis mendiants aux vives couleurs, tapisseries de mémoire et de patience, vous me fascinez de vos fouillis de fleurs et d’oiseaux, de vos ouvrages panachés. Rien de mécanique, rien d’acquis une fois pour toutes dans ces pavages où la rose côtoie l’épine, le coquelicot le flamboyant… Chaque rectangle nouvellement inséré modifie l’assemblage déjà échafaudé. Chaque morceau habilement arraché à un vêtement devenu importable, à une pièce de linge trop usagée, apporte un supplément d’âme. Sourires ou larmes. Et la colère aussi des souvenirs de servitude, de soumission.
J’ai souvent évoqué les couvertes de coins, les humbles fresques des nénènes et des grand-mères élaborées dans la pénombre d’une torpeur d’été, dans la grisaille d’un après-midi pluvieux lorsque les corvées marquent le pas. Ne pas rester inoccupées, surtout, égrener ses petits rectangles de vie.
Mon écriture aussi se tisse en tapis de coins. Écriture de femme, toujours acharnée à recueillir, assembler, mémoriser les joies ou les peines. Chaque page est un carré que mes mots brodent de pensées, pour un ouvrage irrégulier, opus incertum de l’écriture (si Monique Séverin veut bien me laisser vavanguer sur le titre de son recueil)
Imperfections fondatrices d’un monde issu des nuages, d’une île à peine surgie des profondeurs de la mer.
Duvet de tourterelle
au bec de ma plume
un mot puis un autre…
(Monique MERABET, 30 Janvier 2015)