La lune gagnante
LA LUNE GAGNANTE
Pleine lune
brillante
et silencieuse
Mes haïkus ont souvent vu la lune. Mes poèmes aussi.
Poème… haïku… Le haïku est-il un poème ?
« Lorsque vous comprendrez que mon poème n’est pas un poème, nous pourrons parler de poésie. » Cette citation de Ryokan peut apparaître comme une boutade, une pirouette… Mais qui a jamais su enfermer la poésie dans une définition « scientifique » ? Qui dira jamais ce qu’est un haïku ? Pour moi, il s’inclut dans une démarche poétique et la frontière parfois ténue entre ce tercet que nous nommons haïku et ces vers qui composent les poèmes des littératures de tous temps, de tous lieux. Qu’est-ce qui différencie les deux concepts littéraires ?
Le poème est tout entier refermé sur ce qu’éprouve son auteur (ce qui ne l’empêche pas d’être universel, bien entendu). Le haïku est fait de non-dit, de silence et s’ouvre davantage au lecteur.
Le poème développe un sentiment, le ressenti du poète battu au creuset de ses sensations, de ses émotions, de sa mémoire, de sa philosophie… le haïku est une réaction spontanée à ce qui touche nos sens.
Le poète se sert de la nature comme support, comme caisse de résonance de son état intérieur. Le haïku puise directement dans notre environnement sans métaphore ni anthropomorphisme. Le haïku est l’expression de l’âme du monde dans laquelle se fond celle du poète.
Mais l’observation de la lune ne sera jamais pour moi un « fait divers » extérieur à moi. Celle de la fleur et de l’oiseau non plus. Le haïku jaillit d’une émotion du haijin. L’auteur est présent, même s’il se veut en retrait. Sinon, à quoi bon écrire, si l’on n’a rien à partager ?
Maintenant, quand à la manière d’exprimer ce fragment d’instant, cet atome de sensation, cette bulle d’émotion, cette fugacité dense… je m’en tiens à quelques règles simples : la brièveté, la césure, l’ouverture.
Quelle est la forme la mieux adaptée pour traduire ce qui est insaisissable ? Suivre un a priori de dix-sept syllabes à ne pas dépasser suivant le rythme des haïkus japonais à l’origine ? Faut-il adopter des formes plus minimalistes ?
Oui, on peut préférer au 5/7/5 japonais, la fluidité d’un 3/5/3 et il est vrai que parfois cinq mots suffisent pour une évocation riche d’échos. Mais il ne faudrait pas non plus vider le tercet de la plénitude de l’évènement vécu. L’équilibre est souvent (toujours ?) difficile à trouver.
Questions auxquelles je ne saurai répondre. Je privilégie en tout le fond sur la forme. L’important, c’est la beauté même si elle « marronne » un peu loin des codes coutumiers.
Se laisser guider par l’inspiration du moment. Choisir de dire ou de non-dire. Ainsi mon haïku du début, est né d’un contraste entre la dispute chez les voisins et la belle lune d’Aout illuminant la ruelle. Et ma pensée pour l’enfant qui souffre.
Leurs éclats de voix
La lune par la fenêtre
Brille silencieuse
Petit, la vois-tu, là-bas
Qui t’apporte ma prière ?
Poème ou haïku, la lune est toujours gagnante.
(Monique MERABET, 1er Septembre 2015)