Un conte-haïkus

Publié le par Monique MERABET

Un conte-haïkus

Composer une belle histoire en suivant les haïkus de "Au bout de l'index": tel est l'objectif de cet ouvrage.

Mais but avoué n'est qu'à peine effleuré...

Je vous propose donc ce conte librement inspiré par six des haïkus du livre. Il a été réalisé lors d'un atelier réunissant des animateurs de Case à Lire", associations qui s'occupent de lutter contre l'illettrisme.

 

COMMENT LE CHAT REDEVINT VERT

 

(conte /haïkus imaginé par les stagiaires de Case à Lire)

 

Sortant de l’école

Un brin d’herbe dans les yeux

Le vieux chat sommeille

 

Ce jour-là, en sortant de l’école, je pris le chemin qui longeait la rivière. Soudain, à mes pieds, je découvris un gros chat qui me barrait la route. Il ne fit pas mine de se lever. Peut-être était-il sourd ? Aveugle ?

Son pelage était d’une couleur aubergine. Bizarre pour un chat !

Et, plus bizarre encore, il se mit à parler :

« Que viens-tu faire ici, dans mon pays enchanté ? »

« Heu… Je ne savais pas que j’étais sur tes terres. » Bredouillai-je. « Serais-tu le chat botté ? »

« Non, juste un chat ensorcelé. Un magicien m’a jeté un sort. Je ne peux plus bouger et c’est un peu lassant de voir toujours la même touffe d’herbe. »

Je lui proposai mon aide. Il accepta avec joie.

« Pour rompre le charme qui me tient, il faut arracher le brin d’herbe qui se trouve devant mon œil. »

Facile, pensai-je. Mais j’eus beau tirer, tordre, l’herbe ne bougea pas.

« Alors », dit le chat, « il te faudra aller chercher de l’aide. Tu rencontreras cinq personnages et tu devras réaliser leurs vœux. Si tu y parviens, je serai délivré. »

« Sinon ? »

Il ne répondit pas et je me remis en route.

 

Un , deux, trois… s’envolent

Fleur de lotus entrouverte

Compter les abeilles

 

Quatre, cinq, six…

Je me retrouvai à les suivre pour sentir la bonne odeur du lotus.

 

Sept, huit, neuf…

Les abeilles disparurent

Et j’étais à nouveau seul.

Enfermées dans une nouvelle fleur, les abeilles butinèrent

Pendant que je veillais à leur tranquillité.

 

La tortue de pierre

Silence d’une fontaine

Où je viens rêver

 

Une jeune fille méditait au bord de la rivière. J’aperçus sur l’autre rive, une tortue couleur arc-en-ciel.

Émerveillée par la splendeur de celle-ci, la demoiselle lui demanda, d’une voix paisible :

« Mais que fais-tu là et qu’attends-tu ? »

« J’écoute la douce mélodie du ruissellement de la rivière. L’entends-tu ? » répliqua la tortue.

Alors, les yeux fermés, la jeune fille se mit à chanter avec elle, d’une voix radieuse et veloutée.

Et quand elle ouvrit les yeux, elle fut agréablement surprise de voir devant elle, l’homme de sa vie.

 

Au bout de l’index

Je promène un papillon

Aux ailes mouillées

 

Soudain, une voix sous-marine, presque abyssale, résonna :

« Sauvez cette pauvre créature car elle périra dans mes flots. »

Je vis une main sortir du ruisseau ; les doigts avançaient dans un vacarme assourdissant comme si mille cascades coulaient en même temps. C’était le ruisseau qui levait sa main, une main titanesque, grande comme Mafate.

À l’extrémité de l’index, j’aperçus un minuscule point de couleur s’approchant de moi. C’était un papillon ; ses ailes aux couleurs chatoyantes ruisselaient. Impossible pour lui de reprendre son envol.

Je le pris délicatement et le posai doucement sur l’herbe rouge.

J’entrepris de le ranimer en lui prodiguant un massage cardiaque.

Et là, le papillon reprit connaissance et me remercia chaleureusement d’une bonne poignée d’aile et me dit :

« En gage de gratitude, je te fais don de ce pinceau. Avec lui, tu pourras repeindre le monde à ta guise. »

 

Traces argentées

Le coquillage irisé

Dans le bac à sable

 

Sur la route, à mes pieds, un reflet argenté m’éblouit, tantôt multicolore, tantôt blanchâtre.

Cela m’intrigua. D’un pas hésitant, je décidai de suivre les traces argentées.

Derrière un buisson, j’aperçus un bac à sable. Je m’approchai lentement. À mon grand étonnement, au centre de celui-ci se trouvait un coquillage irisé.

Soudain, le coquillage se souleva. Il en sortit une tête bizarre avec des cornes, et au bout de celles-ci, des yeux globuleux qui me regardaient avec détresse. D’une toute petite voix, la créature me supplia :

« Ne me faites pas de mal ! Aidez-moi, s’il vous plaît ! »

« Mais que vous arrive-t-il ? »

« Je ne peux plus avancer. Le sable se dérobe sous mon ventre et je m’enlise de plus en plus. »

« Que puis-je faire pour vous aider ? » dis-je.

« Auriez-vous l’obligeance de ma déposer sur la feuille de songe qui se trouve juste à côté de vous, s’il vous plaît, et d’enlever le sable qui s’est collé à moi ? »

C’est ce que je fis. Pour me remercier, l’escargot Bernard me donna une plume pour chatouiller le vieux chat et le délivrer de sa paralysie.

 

La boue du chemin

Un petit crapaud surpris

Face à mes baskets

 

Sur le trajet, la boue du chemin rendait le parcours difficile. Au fur et à mesure que j’avançais sur le sentier, je m’enlisais de plus en plus, jusqu’à en perdre mes chaussures.

Quel ne fut mon étonnement de croiser un petit crapaud surpris face à mes baskets ! Il avait la peau jaune et pustuleuse.

Avant que je puisse le contourner, j’entendis une grosse voix me dire :

« Que fais-tu là ? Je vois que tout comme moi, tu portes ta croix ! »

« Mais, tu parles ! » lui dis-je d’un ton étonné.

« Ben oui, quoi ! Impossible, tu crois ? » me répondit-il d’un ton hautain.

Tout à coup, je sentis une énergie m’envahir. Une voix retentit à mes oreilles.

« Je suis Gradus, roi des crapauds. Humain, pour me délivrer, il faudra m’embrasser. »

« Holà ! Stoppez votre délire, maintenant. Je ne suis pas une princesse et nous ne sommes pas chez Walt Disney. »

Le Roi répondit :

« Heu… c’est pas grave. C’est juste l’intention qui compte. »

« Vous croyez ? »

« Oui. Pour mon peuple. »

« Ton peuple ! Parle plutôt à mes baskets… »

Alors, les baskets s’adressèrent à Gradus :

« Petit crapaud, au long de ce chemin glissant, ne te sens-tu pas trop seul ? Ne vois-tu pas ces dangers qui t’entourent ? Ne serait-il pas plus judicieux d’avancer ensemble ? »

 

Conclusion.

C’est alors que je me rendis compte que j’avais rencontré les cinq personnages : le crapaud, l’escargot, le papillon, la tortue, les abeilles.

Je chaussai les baskets et rebroussai chemin, accompagné de toute la troupe, certain de pouvoir secourir le chat.

Mais le chat n’était plus là où je l’avais laissé. Il se roulait allègrement dans l’herbe. Il accourut se frotter à moi en miaulant sur un ton goguenard. Plus violet que jamais.

Alors, je pris le pinceau magique du papillon et je lui redonnai sa couleur naturelle : le vert !

 

Les haïkus en italique sont extraits de Au bout de l’index (Monique Mérabet aux Éditions L’iroli, 2015)

 

Publié dans événements15

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