La tombe inconnue
À LA TOMBE INCONNUE
Heureux celui qui dort en ces lopins fleuris
Assemblés pièce à pièce en chaleureux tapis
Bouquets épanouis au soleil de Novembre
Quand le flamboyant rit, pluie de pétales d’ambre
Cimetière des Avirons à la vue imprenable sur la mer qui bat sans relâche le pouls de la vie. Terre natale où tu aurais dû reposer, Grand-père. Les îliens de ce temps longtemps n’avaient point coutume de mourir si loin de leur île…
Huit mille croix au cimetière français de Zeitenlick et pas une pour rappeler que tu as été tué à quelques kilomètres de là, dans une péripétie oubliée d’une guerre illusion d’une der des der que ma mémoire ne cesse de ressasser.
Rivière Jean Léonel. Où retrouver le souvenir du zouave « tué à l’ennemi » un jour d’Août 1916. C’est là à Zeïtenlick que tu aurais pu reposer…
Mais, écrit Irène la messagère, « beaucoup de Léon, de Victor, de Joseph, mais pas de Jean-Léonel »
Adorable Irène qui a bien voulu tenter de renouer la piste de la sépulture incertaine, il y a bientôt cent ans. De passage à Thessalonique, elle a photographié… Photos qui me touchent, qui portent jusqu’à moi l’émotion d’un lieu visité avec son âme.
« C’est un très grand et beau cimetière. Les 8089 soldats français morts sur le front d’Orient sont enterrés sous de petites croix blanches. »
Huit mille croix blanches
images de Zeïtenlick
plus un champignon
Ah ! elle ne l’a pas raté ce champignon poussant entre les tombes. Champignon pour la paix, pour la mémoire de celui dont la tombe s’est égarée aux palinodies de l’Histoire. Qu’allait-il faire sur ces charniers des Dardanelles, de Macédoine, le petit yab de Ravine-sèche ? Au nom de quelle patrie en danger ?
À Thessalonique, le consulat de France confirme n’avoir rien trouvé :
« Le registre… dont nous disposons pour le cimetière français de Zeïtenlick où ont été regroupées les dépouilles des soldats après la guerre ne comporte pas le nom du soldat que vous recherchez. Les recherches dans les registres des nécropoles militaires françaises de Bitola et Skopje (ARYM) n’ont également rien donné. Cependant, il est possible que son corps ait été placé à l’époque dans l’ossuaire de Zeïtenlick vu la proximité de l’endroit où il est mort. »
La seule chose dont je sois sûre c’est qu’il est mort à soixante-dix kilomètres de Salonique (le nom de l’époque) au Sud du lac Doïrani à la frontière de la Grèce avec l’ARYM. Ainsi en témoigne l’acte de décès.
Et ce témoignage de Nonome, du même village que Grand-père et qui l’aurait vu tomber sous la balle. Il rapporte qu’il a été enterré dans une fosse commune.
Y a-t-il encore trace de ces cimetières itinérants plantés là où le sang a coulé : un, deux, dix… cent corps pêle-mêle. Combien sont morts en ce lieu, en Août 1916 ?
Et ce désir qui me taraude : aller sur place, méditer sur un probable lieu de combat. J’aimerais tant voir ces paysages de Macédoine… quelle en est la géologie ? Sur quel arbre s’est porté son dernier regard surpris ? L’herbe pousse-t-elle plus drue sur le coin de terre où il repose ?
Longtemps je me suis imaginée une combe aux coquelicots, pétales puisant un peu de leur rouge à son sang… Et si, par un caprice de l’histoire, il avait gardé sur lui quelque graine venue du pays natal ? Et si… un bel arbre maintenant… Peut-être un margozier, lilas de l’Inde aux fleurettes parfumées, ou juste une liane poc-poc avec ces petits fruits acides qui devaient envahir les champs qu’il cultivait ?
Imaginer un arbre-jalon pour marquer la tombe inconnue, en garder souvenance.
Entre Les Avirons
Et Zeïtenlick
Souvenir en balance
(Monique MERABET, 11 Novembre 2015)