Tite fleur fanée
TITE FLEUR FANÉE
Fleur séchée
comme coquelicot
dans ma lettre
La petite fleur sage entre deux pages de mon cahier. Elle m’attendait ainsi, sur la poubelle, rouge à faire brinqueballer le cœur du lézard vert.
Ne suis-je pas trop belle pour que tu me balayes avec les feuilles trouées tombées de l’avocatier ? Ne suis-je pas nobles pétales grenat, détachés d’une couronne là-haut, tout là-haut où se pose parfois le cardinal ?
Tite fleur fanée, je ne me balancerai plus jamais au bout de cette liane. Je n’irai plus tutoyer le ciel en suivant l’ascension sinueuse du clérodendron. Je n’attirerai plus l’oiseau au bec fin qui dépouille les inflorescences une à une, jette à bas les bractées rouges pour atteindre le cœur pourpre ; il en extirpe la graine avant de la ressemer plus loin, bien plus loin parfois, dans un autre jardin, à l’autre bout de la cité.
Clérodendrum, tous les jardins de ma rue connaissent ton nom !
Jardins créoles où les plantes se naturalisent. Jardins de partage. Tu serais belle ma ville…
Mais ils se font de plus en plus rares les jardins de la ville, terres d’accueil pour plantes voyageuses.
Ne pas arracher
la plante inconnue
avant de voir la fleur
J’ai ramené dans un pot de verveine, un beau pied clandestin d’étoiles blanches ; j’ai laissé les larges feuilles d’une espèce d’oseille sauvage ombrager mes petites pensées bleues ou jaunes ; et le bringellier venu jusqu’à mes plates-bandes à la faveur d’une violette, d’une capucine venues d’un autre jardin, d’une autre époque.
Je les revois encore, les violettes écloses à la saison fraîche d’ici (printemps d’Hémisphère Nord) derrière la case de changement d’air des Hauts que nous n’occupions pas en Juillet (trop froid) ; quant aux capucines qui cascadaient hors des jardins, se répandaient en nappes jaunes, orangées, rouges sur les chemins des vacances, elles ont été les jalons de ma libre enfance.
Tu peux me garder, dit la petite fleur rouge. Ma teinte amarante ne s’éteindra pas entre les pages de ton cahier-herbier, ton carnet de balades intérieures.
Chacun d’entre nous n’est-il pas une âme-jardin, Eden où se ressourcer, retrouver la clé du paradis égaré.
Entrer. Suivre la petite fleur qui partira bientôt vers un jardin ami en son automne déclinant.
(Monique MERABET, 3 Novembre 2015)