Boulotter
BOULOTTER
Mangue cueillie au réveil
La décrire en vérité
Décrire, une fleur, un visage, voilà un exercice bien difficile pour mes incompétences d’écrivain amateur ! Surtout si la corolle ressemble à une figure humaine ou animale. Je n’arrête pas de VOIR des personnages habitant l’orchidée ou la feuille tombée, jaunie, tavelée, trouée.
Et mes mots sont bien impuissants à la décrire et mes doigts incapables de dessiner. Heureusement, il y a la photo. Pour montrer.
La photo est d’essence haïkiste : de l’observation pure et simple. Elle n’est ni descriptive, ni spéculative. Une image brute, collant à la réalité d’un instant. En même temps, ouverte au décodage du lecteur. On lit une photo comme on lit un haïku : elle raconte une histoire.
Ainsi ces limbes ajourés… comme si une brodeuse de jours de Cilaos s’y était attelée pendant la nuit. Travail de fée. Comment mes mots de chair et de sang sauraient-ils en transmettre la vérité ?
Et pourtant, je devrais l’écrire, dire pourquoi elle m’émeut tellement ? Pour me donner de l’élan, je vais pasticher Sei Shônagon la dame Japonaise qui, dans ses Notes de chevet, aime à classer les choses qui l’entourent.
Chose qui m’émeut particulièrement :
Une feuille en forme de cœur que des insectes (sauterelles ? chenilles ? punaises ?) ont évidé de mille trous. Dentelle si finement ciselée qu’il ne reste souvent que d’infimes fragments attachés aux nervures. Fragilité du limbe desséché retrouvé dans un vieil agenda de 2013.
Comment fait-il pour résister ainsi au temps ?
Ce grignotage artistique — conscient ? inconscient ? — me remplit d’émerveillement, éveille le souvenir de ces petits beurre de l’enfance, entamés aux quatre coins. Il m’arrive encore de les manger ainsi, dans l’espoir de dessiner au biscuit une cartographie secrète, les contours d’un pays imaginaire qui me rendrait les verts paradis.
Ce qui me frappe, sur cette feuille-toile, c’est qu’elle est ciselée de l’intérieur. La périphérie est intacte. À se demander si le boulotteur nocturne de chlorophylle n’a pas voulu respecter l’harmonie naturelle, la symétrie des deux lobes. Tiens ! Une des moitiés est plus petite que l’autre, je viens de m’en apercevoir.
Parfois je rêve d’un gribouillis inspiré qui me permettrait d’atteindre à la perfection de ces découpages aériens. Mais je n’ai pas des mandibules artistiques de la chipèk. Loin s’en faut.
Limbe dentelé
au pochoir des mandibules
la feuille vivante
ces trous à mon existence
ô chers amis disparus !
(Monique MERABET, 13 Mars 2016)