Soie
SOIE
L’hiver se teinte de bleu et de soleil. Journée à écrire, à décrire.
La description est le point faible (enfin, un des points faibles) de mon écriture. Écrire un roman, une nouvelle, nécessite-t-il de faire habiter ses personnages quelque part, leur construire un lieu dont le lecteur pourra à son tour prendre possession ?
Pas forcément, bien sûr. L’auteur a toute latitude pour se libérer des contraintes. La seule obligation de l’écrivain, c’est d’éviter la médiocrité. On peut écrire, être passionnant, tout en demeurant imprécis sur l’environnement. Le flou artistique.
Je viens de lire « Soie » de Alessandro Baricco. Le court roman relate les voyages d’un soyeux du Vivarais au Japon, afin de se procurer des vers à soie dans les années 1860. Fiction ou réalité ?
Les paysages traversés ne sont jamais décrits. Comme si le personnage d’Hervé Joncour (a-t-il réellement existé ?) évoluait dans un univers désincarné, irréel. Et les illustrations (talentueuses) de Rébecca Dautremer contribuent largement à cette impression onirique. Peut-être est-ce là, façon de souligner l’inanité de voyager. Le vrai voyage ne peut être qu’intérieur.
Quant aux Japonais rencontrés, ils ne sont qu’en pointillés : Kara Sei, la femme en rouge… à peine esquissés et apparaissent de façon elliptique. Aucune curiosité ne se manifeste envers l’autre, l’ailleurs.
La quête d’exotisme se cristallise dans le parc que Joncour fait réaliser sur sa propriété en France. Il est riche, grâce aux transactions autour des œufs… mais là non plus, on ne comprend pas comment. Pas de description. Pas d’action.
Voyage de papier… Les circuits pour atteindre le Japon sont répétés dans leur concision, à chaque périple. Bel artifice d’écriture, certes ! Mais à trop tirer sur la corde de la distanciation, le verbe se vide de toute vie. Comme s’il n’y avait rien à voir, rien à entendre ; le héros — si on peut lui appliquer ce qualificatif — se tait, réfléchit, reste assis et s’en retourne sans avoir rien accompli de tangible.
Même l’amour ne s’accomplit que par procuration, par truchement. Ah ! La lettre érotique lue par une tenancière de maison close à Nîmes et provenant d’une mystérieuse amante japonaise… elle ne m’a arraché qu’un regard amusé.
Ai-je aimé ce livre ? Je l’ai lu en entier. C’est court, bien écrit. Mais, ce genre littéraire n’engendre chez moi qu’insatisfaction. La trop grande sophistication aboutit, à mon goût, à trop d’artificialité.
Peut-être aurais-je dû lire la version sans image. Malgré le (ou à cause du) talent de Rebecca Dautremer : la force de ses représentations impose au lecteur une vision trop personnalisée que le style sibyllin de l’auteur, ne permet pas au lecteur de contrecarrer pour se forger son propre imaginaire…
Ou alors, n’ai-je n’ai guère de résonance avec l’auteur. Je n’avais pas apprécié non plus Novecento : le pianiste.
Un roman trop « soyeux », trop « petit bijou », « joyau littéraire »… selon les qualificatifs élogieux d’autres lecteurs souvent dithyrambiques. J’ai relevé malgré tout une critique qui évoque « une philosophie de pacotille ». Je serai plutôt d’accord avec ce propos.
La soie de l’ouvrage me semble un peu trop légère. J’aime les auteurs qui sont présents dans leur écriture.
(16 Juillet 2016)