Les voix de la mer
LES VOIX DE LA MER
Dimanche à Manapany. Le bruit assourdissant des vagues nous oblige à hausser la voix, à bien articuler. Nous sommes cinq, auteures enthousiastes à traquer les fautes de syntaxe, de vocabulaire — ça se dit, ça, « hausser la voix » ? — traquer les créolismes, les clichés qui viennent si facilement à nos plumes réunionnaises. « Nous fabriquons aujourd’hui, ce qui sera clichés demain » dit Céline… à condition de devenir écrivains émérites !
Journée d’échanges, de rires…
Dire nos colères
au ressac de l’océan
blancheur d’écume
Nos pensées polies au balancement des flots : arrondies, dépouillées de leurs âcretés. Regarder la mer battre et rebattre sa saisie d’écume : fascination des plis de fluidité bleu, vert, blanc… Laisser ses pensées se purifier aux embruns. N’être que bienveillance. Se laisser bercer par les voix amies, par leurs mots qui se mêlent aux miens.
Ici, sous le badamier aux feuilles nouvelles qui brodent l’azur, tout est calme et sérénité. En contrebas de la terrasse où nous lisons, abritées, apaisées, le chant puissant de l’océan qui s’émiette sur la barrière de basalte devenu tortue ou sirène ou attendant, informe, le burin du temps.
Côte Ouest
rose qui s’assombrit
lentement
Retour à la nuit tombée. Peut-on dire « nuit close » demande Isabelle ? J’irai vérifier dans un dictionnaire, Larousse ou Robert. Ou Quillet. Pas wikitionnaire, bien sûr. Nous sommes des écrivaines sérieuses.
Clarté laiteuse de la mer assoupie.
Les voitures réduites à des lumignons, rivière scintillante épousant la courbe d’une baie. Saint-Paul ? La nuit disperse mes repères. Dans le cocon de la voiture qui file, insérée dans le courant de ceux qui rentrent de dimanche, je ne vois pas les étoiles.
Comme je n’ai pas vu les oiseaux qui chahutaient dans le badamier. Seulement les geckos, ceux de l’espèce endémique protégée. Ils sont partout, le long des chambranles des portes et fenêtres, coincés sous le plateau en verre de la table ronde.
Chez moi, à Saint-Denis, je vois moins de lézards verts d’importation. Le chat ?
Là-bas… ici… ailleurs. Échos. Résonances.
Et ce mouvement perpétuel des vagues à l’assaut d’elles ne savent même pas quoi. Des millénaires avant moi. Des millénaires après moi.
Éblouie
bouquet de jasmin
au soleil
(22 Août 2016)