Les voix de la mer

Publié le par Monique MERABET

Les voix de la mer

LES VOIX DE LA MER

Dimanche à Manapany. Le bruit assourdissant des vagues nous oblige à hausser la voix, à bien articuler. Nous sommes cinq, auteures enthousiastes à traquer les fautes de syntaxe, de vocabulaire — ça se dit, ça, « hausser la voix » ? — traquer les créolismes, les clichés qui viennent si facilement à nos plumes réunionnaises. « Nous fabriquons aujourd’hui, ce qui sera clichés demain » dit Céline… à condition de devenir écrivains émérites !

Journée d’échanges, de rires…

Dire nos colères

au ressac de l’océan

blancheur d’écume

Nos pensées polies au balancement des flots : arrondies, dépouillées de leurs âcretés. Regarder la mer battre et rebattre sa saisie d’écume : fascination des plis de fluidité bleu, vert, blanc… Laisser ses pensées se purifier aux embruns. N’être que bienveillance. Se laisser bercer par les voix amies, par leurs mots qui se mêlent aux miens.

Ici, sous le badamier aux feuilles nouvelles qui brodent l’azur, tout est calme et sérénité. En contrebas de la terrasse où nous lisons, abritées, apaisées, le chant puissant de l’océan qui s’émiette sur la barrière de basalte devenu tortue ou sirène ou attendant, informe, le burin du temps.

Côte Ouest

rose qui s’assombrit

lentement

Retour à la nuit tombée. Peut-on dire « nuit close » demande Isabelle ? J’irai vérifier dans un dictionnaire, Larousse ou Robert. Ou Quillet. Pas wikitionnaire, bien sûr. Nous sommes des écrivaines sérieuses.

Clarté laiteuse de la mer assoupie.

Les voitures réduites à des lumignons, rivière scintillante épousant la courbe d’une baie. Saint-Paul ? La nuit disperse mes repères. Dans le cocon de la voiture qui file, insérée dans le courant de ceux qui rentrent de dimanche, je ne vois pas les étoiles.

Comme je n’ai pas vu les oiseaux qui chahutaient dans le badamier. Seulement les geckos, ceux de l’espèce endémique protégée. Ils sont partout, le long des chambranles des portes et fenêtres, coincés sous le plateau en verre de la table ronde.

Chez moi, à Saint-Denis, je vois moins de lézards verts d’importation. Le chat ?

Là-bas… ici… ailleurs. Échos. Résonances.

Et ce mouvement perpétuel des vagues à l’assaut d’elles ne savent même pas quoi. Des millénaires avant moi. Des millénaires après moi.

Éblouie

bouquet de jasmin

au soleil

(22 Août 2016)

Publié dans chroniques d'hiver

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I
La poésie est partout dans le creux des vagues, dans les nuages qui passent, l'oiseau qui lance sa trille et dans le gecko vert qui promène son croissant de lune bleue sur son nez. Manapany est un lieu où le temps se suspend, où l'on s'abrite des bruits du monde, heureuse d'avoir partagé le petit coin charmant avec vous, mais il nous reste encore des trésors à cueillir dans cette baie magique de notre île. Merci d'avoir partagé ces instants avec vous
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M
L'enchantement de manapany. Qu'il nous dure longtemps!