Natures mortes
NATURES MORTES
Lézard en attente
comme né de la courgette
la nature morte
de ma photo ce matin
vie à dire en filigrane
Les photos sont toujours des natures mortes. Voici la définition qu’en donne Charles Sterling :
« Une authentique nature morte naît le jour où un peintre prend la décision fondamentale de choisir comme sujet et d’organiser en une entité plastique un groupe d’objets. »
Œuvre picturale, donc… Et pourtant…
Je viens de découvrir avec ravissement La visiteuse de Saint-Loup , roman bref et dense de Monique Leroux-Serres paru aux Éditions Le petit pavé et tout au long des pages, cette impression de voir une nature morte s’élaborer sous mes yeux.
L’histoire est celle d’une visiteuse sibylline hantant la solitude d’un écrivain. Récit sans paroles où les personnages s’approchent, se rapprochent sans jamais se rencontrer vraiment. D’où cette sensation insolite d’aborder une œuvre picturale. Mais ne suffit-il pas de remplacer le mot de « peintre » par celui « d’écrivain » ?
Et puis ce terme anglais désignant la nature morte au XVIIe siècle : still-life (la vie silencieuse, immobile). Elle décrit bien le déroulement hiératique de ces visites qui prennent peu à peu un caractère rituel.
« Dans le natures mortes, il y a les rites devinés, bien sûr… » dit par ailleurs Philippe Delerm.
Mais immobile ne signifie pas statique car le tableau évolue subtilement à mesure que l’hiver s’avance — paysages à la Corot, à la Sisley, dit l’auteure. Il n’y a qu’à se référer à la « pierre témoin » du puits : pierre de saison, comme on dit mot de saison à propos de haïkus.
D’ailleurs, cette parenté haïkiste du roman n’a rien d’étonnant sous la plume de Monique Leroux-Serres, haïjin confirmée. Beaucoup de non-dits, d’ouverture à l’imaginaire du lecteur. Jusqu’à la fin, la visiteuse gardera tout son mystère.
Dans une langue limpide, fluide, précise, l’auteure sait nous faire partager une émotion poétique, celle inscrite dans ces objets rassemblés là avec soin. Des indices que chacun peut assembler à son gré. Ah ! Je ne saurais dire pourquoi cette carte postale représentant une « nature morte aux coloquintes » m’a semblé essentielle et éclairante !
Monique Merabet, 2 Janvier 2017)