La fourmi ds mots

Publié le par Monique MERABET

La fourmi ds mots

LA FOURMI DES MOTS

 

 

 

Les roses de l’aube

en pommelés pamplemousse

levée la première

 

Je ne sais pas si pommelés et pamplemousse sont de bon aloi dans mon haïku. Allez, on dit que oui. Surtout que le ciel était vraiment rose, pommelé et ressemblait au pamplemousse — excellent — égrené hier.

Égrené ? ça se dit pour un pamplemousse ? Oui puisqu’il s’agit d’un de ces énormes pamplemousses pays. Mais bon, on ne va pas s’arrêter ainsi à chaque mot… Comprenne qui pourra.

Je me suis levée la première de la ruelle. Même les chats sont encore endormis, sauf celui que j’ai fait déguerpir de ma chaise. Je me suis levée avant les voisins. Bien que. Qui sait combien d’yeux épient derrière des volets imperceptiblement entrouverts, à travers un judas… « Voizin i vèy anou » est un acte naturel lorsque les maisons se serrent les unes contre les autres et cela alimente la vie de la cité : Madame R n’est pas sortie dans son jardin, serait-elle malade, faut pas compter sur son fils pour nous prévenir, un ours mal léché, cette nuit, la voiture mystérieuse est encore venue et son mystérieux conducteur, que complotent-ils… etc, etc.

Mon stylo s’active, encre bleue pour commencer. Une fourmi s’affaire entre mes rideaux de lettres. Elle aussi pourra en faire des supputations, de quoi alimenter la fourmilière.

 

« Hum ! ce matin, elle doit avoir de l’arthrose, ou bien alors les doigts pas bien désengourdis. Les lettres sont désordonnées, parfois à peine esquissées.

Là, tu vois, on dirait que le stylo s’est emballé ; il a couru, couru… comme si elle ne le contrôlait plus.  

Elle, c’est èmedé, MD, Main Droite, celle qui travaille. L’autre èmegé, Main Gauche, tapote le papier ou le menton, ou la tête, ou se dissimule sous la table. Elle se prend pour l’inspectrice des travaux finis, elle critique, se gausse, questionne, toute en points d’exclamation ou d’interrogation.

Moi, j’ai un faible pour la virgule, le petit chemin tout en promesse de sinuosité et qui s’interrompt abruptement. Vous connaissez le jeu de la virgule-poursuite ? On suit la première petite queue qu’on trouve et, arrivée au bout, on se précipite vers la suivante. Un jour, une puce échappée d’un chat a voulu faire la course avec moi ; mais elle trichait, elle sautait d’un arc à un autre.

Moi, si j’étais èmedé, j’y mettrais des feuilles, une fleur tout au bout, en haut. En haut ? Est-ce si important ? Après tout, si je parcours ses gribouillis dans l’autre sens, l’en-haut devient l’en-bas… Mettre une fleur au milieu, alors ? Non, ça n’a pas de sens…

Bah ! Tout est relatif comme dirait… c’est quoi son nom, déjà ? Alzheimer ?

Tiens ! le stylo aussi fait une pause, il m’écrit, en grosses lettres, le nom du relativiste, peut-être ENSTEIN… en vain, je ne sais pas déchiffrer ces signes et puis j’aime pas trop la raideur des majuscules ; je ne suis pas une fourmi savante. Mais j’aime bien me balader sur une page d’écriture. J’ai l’impression d’être parmi la foule de mes semblables figés dans de drôles de positions : f, o, u, r, m, i… et la liste s’allonge, s’allonge… trop génial !

Aïe ! Le point final. Je me suis perdue. »

 

(30 Mars 2017)

 

Publié dans haïbuns 17

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