L'arbre aux chenilles

Publié le par Monique MERABET

dessin Huguette Payet

dessin Huguette Payet

L’ARBRE AUX CHENILLES

 

 

 

La lourde chenille

Se sent-elle pousser des ailes ?

Secret de cocon

 

Dans le grand jardin, il faisait beau et chaud en ce début d’après-midi. En appui sur ses béquilles, Anaêlle s’acheminait péniblement vers le kiosque près du mûrier. Là, son fauteuil l’attendait ; à côté, quelques livres, un album, des crayons de couleur.

La petite fille se sentait fatiguée. La matinée s’était passée comme toutes les autres matinées, à répéter les mêmes exercices dans la piscine ou sur le tapis de la salle de rééducation.

Anaëlle était courageuse et Marie, la kiné, l’aidait de son mieux. Mais, depuis l’accident qui l’avait envoyée à l’hôpital pour de longues semaines, elle trouvait le temps long et rêvait du moment où elle pourrait à nouveau se servir de ses jambes.

 

Heureusement, à proximité du kiosque, il y avait l’arbre aux chenilles.

Ti ouète, herbe à chenilles, herbe à papillons… asclépiade de Curaçào… L’arbre aux surprises, c’est Mamie Flora qui le lui avait offert ; et, de tous les cadeaux qu’elle avait reçus, c’était le plus beau, le plus vivant.

 

Sur le petit lit

La poupée immobile

Hôpital d’enfants

 

Quand Mamie Flora avait poussé la porte de la chambre, la petite fille paraissait triste, si triste avec ses jambes emprisonnées dans le carcan de plâtre.

L’amoncellement de poupées, de livres, de peluches n’avait pas réussi à faire renaître le sourire d’Anaëlle. Mamie Flora avait dégagé la table roulante et y avait déposé le gros sac qu’elle avait apporté ; puis, elle avait poussé le tout vers l’enfant. C’était un banal pot en plastique noir d’où dépassaient des feuilles vertes de banale apparence, elles aussi.

Mais elle avait dit à la petite fille :

—Regarde ce que je t’apporte là. C’est un pied de ti-ouète, un porte-bonheur. Je vais le planter moi-même dans le jardin de ta maison ; c’est toi qui choisiras l’emplacement et, tu verras… c’est un arbrisseau plein de surprises !

C’est ainsi que pendant son long séjour à l’hôpital, Anaëlle avait imaginé son arbre. À chacune de ses visites, Mamie Flora lui racontait les branches qui grandissaient à vue d’œil, le tronc qui s’épaississait et les feuilles qui l’auréolaient d’une chevelure bouclée, d’un vert lumineux.

 

Lorsque la petite fille avait regagné sa maison, l’arbre l’attendait.

Un peu partout à travers le feuillage pointait le rouge des fleurs puis vint le duvet neigeux qui enveloppait les graines. Et cela attirait les oiseaux, moineaux, tourterelles et merles Maurice… et parfois même un cardinal dans toute la splendeur de son habit d’été. Anaêlle ne se lassait pas de leur ballet coloré.

 

Brin de ouate au bec

Les oiseaux volubiles

Racontent leurs nids

 

Ah ! C’était vraiment un arbre à surprises… Mais ce ne fut pas tout !

Anaëlle se souviendrait longtemps du jour où l’arbre était devenu « l’arbre aux chenilles » !

L’arbuste disparaissait presque sous les broderies de gracieuses chenilles noire et rouge à points dorés ; il y en avait tant et tant, que la fillette, ravie, avait renoncé à les compter.

—De vrais bijoux, n’est-ce pas ? avait dit Mamie Flora.

Et elle avait délicatement détaché l’une après l’autre quelques unes des merveilleuses créatures qu’elle posait sur ses doigts, son poignet, son cou et même sur les lobes de ses oreilles ; là, c’était rigolo comme tout : les chenilles finissaient par s’agripper à l’extrême bord et laissaient pendre leur corps dans le vide ; on aurait dit d’originales boucles d’oreille…

Anaëlle riait, enchantée. Au début, elle avait hésité avant de toucher elle-même aux chenilles et puis, elle s’était laissé apprivoiser : leur contact n’était pas désagréable du tout ; il y avait même un petit chatouillis…

 

Bague de velours

La chenille sur son doigt

Pour s’apprivoiser

 

Au fil des jours, Anaëlle inventait des jeux, tous plus amusants les uns que les autres : la marchande de bijoux, le bal des chenilles, l’élection de Miss Ti-Ouète, la Princesse qui aimait les chenilles…

 

Mais en ce bel après-midi, lorsque mamie Flora arriva, son drôle de petit chapeau garni de fleurs et d’oiseaux posé de travers sur son chignon, elle trouva Anaëlle en larmes.

—Oh ! Mamie ! Mamie ! Mes chenilles sont malades. Regarde, elles ne bougent presque plus. Elles ne vont pas mourir, au moins ?

Sur les tiges immobiles, les larves restaient avachies. Finies les acrobaties, les festons dont elles ornaient l’arbuste ! Finis surtout les joyeux festins de feuilles que les gloutonnes ajouraient en un rien de temps !

On aurait cru que les jolies bestioles s’étaient toutes endormies, victimes d’un maléfice.

 

Chenille au bois dormant

Avant la magie

De la chrysalide

 

Mamie Flora prit le temps d’embrasser la petite fille et de déposer sur la table le gâteau ti-son tout doré du goûter. Puis elle caressa les cheveux de sa petite-fille et la rassura.

—Non ! Ne crains rien, Anaëlle ! Tes chenilles ne vont pas mourir ; elles ne sont pas malades non plus. Le temps est venu pour elles de se préparer à la métamorphose en s’entourant d’une carapace de cire…

—Un cocon ! s’écria Anaëlle qui se rappela tout à coup ce qu’elle avait appris sur la transformation des chenilles en papillons.

—C’est ça, des cocons ! Tu verras, la plante se couvrira de petits cornets de jade, les chrysalides. Il ne faudra pas y toucher. Puis, un beau matin, l’arbre aux chenilles deviendra arbre aux papillons. Et, à les voir voleter tout autour des branches, je parie que ce matin-là, tes petits pieds se mettront à danser, eux aussi.

Anaëlle était heureuse de toutes ces merveilles qui s’annonçaient, mais elle aurait aimé en savoir un peu plus.

—Mamie, elles font comment, les chenilles, pour se fabriquer des ailes, une trompe ?

—Ah ! Ça, mon petit cœur, ça, c’est le secret de la nature. Nous, nous n’avons qu’à attendre que les jolis papillons soient prêts à s’envoler vers la lumière et à les admirer.

 

Papillon rouge

Un rayon de soleil

S’envole

 

Anaëlle devint songeuse ; elle semblait un peu déçue. Une question l’embarrassait.

—Mais, Mamie… et si les paillons sortent de leurs cocons dans la nuit, peut-être qu’ils se seront tous envolés quand je viendrai les voir ?

Mamie Flora se gratouilla le nez. Elle faisait toujours ça lorsqu’elle réfléchissait. Et elle trouva la solution.

—Tu sais quoi, Anaëlle ? Lorsque les chrysalides se seront bien formées, on en cueillera quelques-unes. Tu les mettras dans une boîte avec un couvercle transparent. Cette boîte, tu pourras l’emporter partout avec toi et ainsi, tu ne rateras pas la naissance des papillons. Mais n’oublie pas d’y faire des trous : il faut les laisser respirer.

L’idée de Mamie était excellente, comme d’habitude. Un sourire éclaira le visage d’Anaëlle et la petite fille sentit soudain que ses jambes se réveillaient…

Elle en était sûre. Demain, elle arriverait à faire quelques pas sans ces vilaines béquilles.

 

Publié dans haïbuns 17

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J
Une très jolie histoire !!!
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