Destin d'orchidée

Publié le par Monique MERABET

Destin d'orchidée

DESTIN D’ORCHIDÉE

 

 

 

Belle de lune

sur l’île du non retour

où sont tes enfants ?

L’orchidée nommée vanille

que Grand-mère fécondait

 

Belle de lune, splendeur des nuits d’été, jamais tu ne porteras de fruit. Je te retrouve matin, pétales repliés, fanée déjà, lasse d’avoir attendue en vain toute la nuit l’insecte pollinisateur. Il ne viendra pas… on a oublié de le ramener des lointaines contrées dont tu es originaire.

Comme j’aimerais connaître l’histoire de ces belles exilées jusqu’en nos serres ou nos jardins ! Savoir comment elles vivent là-bas dans leur Éden perdu, koman i lé zot ti baba…

Ici, nous avons cette orchidée importée sur l’île Bourbon jadis…  sans les abeilles pollinisatrices. En 1841, c’est un jeune esclave (Edmond Albius) qui découvre la méthode de fécondation manuelle de la vanille. Ainsi naît une légende.

 

Féconder, gonder comme on dit en créole, Grand-mère savait le faire. Et je m’étonne aujourd’hui : qui a pu transmettre à Aglaé, l’orpheline, ce « secret » touchant à une plante de luxe ? Certes pas son père à la réputation d’ours mal léché… Comment en est-elle venue à ce don pour faire grossir de nobles gousses ? Les pieds de vanille ne venaient pas en sa cour de terre sèche. Voilà qui mériterait une belle histoire !

Nous en avions un plant à la maison du Piton Saint-Leu, s’enroulant autour d’un pied palmiste, à côté du rosier « désespoir du peintre ». Et bien sûr, c’est Grand-mère qui s’occupait de la fécondation ; elle y allait un peu en misouk, munie de son aiguille et n’appréciait pas qu’on la regarde faire. Peut-être avait-elle le souci de préserver ce précieux savoir-faire qu’elle était fière de posséder au sein de la maisonnée de sa fille institutrice, elle qui n’a jamais appris à lire…

Facile ! disait Maman, un peu vexée que sa mère la tienne à l’écart, lui cache son savoir. Il suffit de presser légèrement la fleur en soulevant la cloison qui sépare étamines et stigmates. Mais maman ne s’était risqué à le faire que bien plus tard, après la mort de Grand-mère.

Je ne crois pas cependant que Grand-mère ait refusé de transmettre ce qu’elle savait ; elle n’avait sans doute pas la pédagogie, ni la patience, ni les mots pour le dire. Juste les gestes.

Voilà ma fille, i fait comme ça et comme ça…

 

Les mains de Grand-mère

entrecroisant nos menottes

zinzin biscotin* !

 

(30 janvier 2018)

 

*jeu pour les tout petits. On entrecroisait les mains d’adulte et d’enfant en se pinçant légèrement la peau et à la fin de la comptine « Cassez la bouline », on lâchait tout.

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J
Magnifique fleur et beau texte comme toujours. Et toi Monique, sais-tu "gonder" ?
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M
Non, je n'ai jamais cherché à féconder la vanille... un peu comme si l'attitude de Grand-mère avait conduit à une "interdiction" pour maman et pour moi de nous livrer à cette opération. Bizarre, non?