Tu n'as pas bien raccommodé tes bas

Publié le par Monique MERABET

Tu n'as pas bien raccommodé tes bas

TU N’AS PAS BIEN RACCOMMODÉ TES BAS

 

 

 

La nuit la plus longue

ô lune mal fagotée

entends-tu nos chants ?

 

Parfois un vers, d’un poème, d’une chanson, vous obnubile, anesthésiant toute autre source d’inspiration.

Ainsi, pour notre jeu haïkiste, il s’agit de s’inspirer librement d’une strophe du poème « Les femmes » d’Apollinaire :

 

Pour la fête du curé – La forêt là-bas

Grâce au vent chantait à voix grave de grand orgue

Le songe Herr Traum survint avec sa sœur Frau Sorge

Koethi tu n’as pas bien raccommodé tes bas.

 

Oh ! Ce dernier vers ! Mon esprit-femme se rebiffe. Qui ose reprocher à la pauvre Koethi de ne pas bien raccommoder ? Pourquoi est-ce sa tâche à elle, et non pas celle de Herr Traum ou de Frau Sorge ? Eux, pourront profiter de la musique « de grand orgue » que fait le vent dans la forêt, sans s’user les yeux aux finesses d’un raccommodage.

 

Le fin ravaudage

de Grand-mère – au bout de mes doigts

tant de piqûres

 

Revoir Aglaé appliquée à reboucher les accrocs, les trous aux vêtements : ses rangs de points si fins en quinconce, dans le but de retisser une trame au tissu. Pour les bas — terme créole désignant les chaussettes… peu souvent portées par les hommes, soit dit en passant, eux qui glissaient leurs pieds nus dans le cuir durci des souliers de messe — on tendait la toile sur un œuf.

Mon haïku aurait pu être celui sus mentionné, évoquant le travail minutieux des humbles femmes du temps passé (sœurs de Koethi ?) et la petite fille, mauvaise apprentie, qui se piquait aux doigts sans dé (égaré encore !), pour un piètre résultat : « Mon enfant, comme ta couture est gros-doigts ! »

Mais je me suis obstinée à cette lune « étroitement » revêtue d’un croissant, me rappelant ce conte « La lune nue » et les difficultés à vêtir convenablement l’astre de la nuit. Qu’on lui confectionne une robe-ballon d’opale ou un mince fourreau de soie, elle finira toujours par se sentir trop au large ou trop à l’étroit.

Mais il n’est pas trop tard pour revenir aux feuillages découpés du ricin dans la nuit du solstice de juin. La musique viendra par surcroît.

 

La nuit la plus longue

à travers les feuilles trouées

un croissant de lune

 

(24 juin 2018)

Publié dans Habiller la lune

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