La prophétie du cardinal

Publié le par Monique MERABET

La prophétie du cardinal

LA PROPHÉTIE DU CARDINAL

 

 

 

Le cardinal venu

par-delà le ciel gris

me rejoindre

 

Rejoindre dans le sens que lui donnent les réunionnais : me retrouver, se joindre à moi.

Le cardinal est un kigo tacite, il n’est pas utile de dire sa couleur rouge : l’oiseau ne se distingue (pour moi) des moineaux que par sa teinte de parade. De septembre à avril.

le reste de l’année, c’est comme s’il était parti en vacances, en hivernage, oiseau migrateur de ma mémoire.

Et son retour… retour des beaux jours à espérer sous le ciel gris. Mots vides de sens ! Comme si les beaux jours n’étaient pas aussi pétris de fraîcheur et de brume. Taisez-vous mes pieds ! Si vous êtes sages, je vous offrirai des chaussettes, des pantoufles, des souliers. Comme Alice.

 

Oh, mes pauvres petits pieds ! Je me demande qui vous mettra vos bas et vos souliers à présent, mes chéris ?

 

Cela aura l’air fameusement drôle d’envoyer des cadeaux à ses propres pieds :

Monsieur Pied droit d’Alice

Devant le foyer

Près le Garde-Feu

(avec l’affection d’Alice)

 

(Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles)

 

Comme si l’existence se cantonnait aux jours de jeunesse, au temps où l’homme du midi se tient dressé sur deux jambes ! Étrange paradoxe : l’homme debout tourne rarement ses désirs vers le ciel, tout préoccupé de s’amasser des biens terrestres ; l’homme âgé — devrai-je me munir d’un bâton ? — courbé vers le sol, se soucie davantage de spirituel. Ce détachement des vieilles personnes, je l’ai souvent observé : ma mère n’avait plus aucun goût pour ce qui l’entourait ; elle plaçait son fauteuil dos tourné à la fenêtre…

Je ne lui envie pas cette « sagesse ». Je souhaite ne jamais devenir insensible au changement de saison, à la bonne nouvelle du retour d’un printemps. Je souhaite toujours accueillir la prophétie du cardinal, la joie, le désir de vie. Tant que je vivrai.

 

(3 septembre 2018)

Publié dans Habiller la lune

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M
Bel hymne au "mangement" de la vie ! Cela me rappelle une expression en langue fon qu'on utilise pour dire à quelqu'un qu'il est vraiment heureux, qu'il profite pleinement : "a dou gbè taw", que l'on peut traduire littéralement par "tu manges vraiment la vie".
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M
La langue fon me semble particulièrement pertinente en associant aux sentiments, le concret du corps. J'avais déjà cité en exergue à une de mes nouvelles que le mot qui veut dire aimer signifie littéralement "accepter l'odeur de l'autre"
M
Un certain détachement, oui, mais de l'appétit toujours...jusqu'à en perdre le souffle !
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M
Oui, le détachement ne doit pas aller jusqu'au désintérêt. Gardons notre appétit d vivre!