Au jour de haïkus
AU JOUR DE HAÏKUS
Les iris d’un jour
au premier plan – du tableau
un bulbul s’envole
La photo, dans ma tête. Le tableau au matin : au premier plan, ces deux iris si nets, resplendissants de lumière, à l’arrière-plan, le jeune bulbul sautillant dans le franciséa.
L’iris se moque de ne vivre que douze heures, le temps de la course du soleil dans l’hémisphère sud ; il choisit de s’ouvrir à l’équinoxe, équilibre entre épanouissement et étiolement. Son accomplissement. Il fait la nique au temps qui passe, à l’oiseau qui n’est que de passage et s’envole au-delà de la toile de mon champ de vision. Lui, demeure, flexible au bout de sa tige ; il est joie et détermination.
Le pied de franciséa, lui, vient de chez la voisine, un surgeon qui a fait son chemin souterrain, bravant le muret qui nous sépare. J’avais écrit un haïku pour célébrer ses fleurs, cadeau du voisinage.
Chaque parcelle du jardin est ainsi marquée d’un haïku, d’un instant retenu. Mon livre-jardin !
J’ai oublié ce que dit le poème ; je ne sais plus où le retrouver dans ce fouillis de carnets qui promettaient de le conserver. Comme si l’on pouvait répertorier les instants passés, les munir d’un code afin d’aller les repêcher sur le rayonnage adéquat quand un souvenir vient gratter à mes pensées.
Les casiers de la mémoire sont plus aléatoires : une image vive et claire (celle des iris), une réminiscence qui flotte à la conscience et qui s’en va (le bulbul)
Sieste interrompue
la poule rousse égarée
sous les caféiers
L’évènement majeur d’hier : cette poule caquetant sous les arbres, posée sur un lit de feuilles sèches. Son nid ?
Non, ce n’était pas la ca-ne de Jea-nne. Elle n’a pont laissé d’œuf.
Fragments de vie, coins de petits bonheurs qui passaient par là, mis en photo ou en haïku. Encore faut-il savoir les écrire, les haïkus !
Photographier : d’un clic on capte la lumière et les ombres de la scène — flash automatique quand vient le fénoir —, on les déforme aussi, définition de l’image numérisée, flouté du photographe maladroit, rendu des couleurs jamais synchrone avec celui que fixe la mémoire ou la qualité de vision de l’observateur…
Le haïku n’est pas une photo. Dix-sept syllabes, c’est bien trop court pour énumérer tous les détails ? Hum… dix-sept syllabes devraient suffire pour dire la brillance des fleurs, la grâce de l’oiseau, la part du colibri de l’auteur. Dix-sept ou moins…
Une mouche
au-dessus des iris
immobile
(4 octobre 2018)