Les mandalas de l'Avent (19)
Mercredi 19 décembre,
Entre chats
se partager un fromage
saison letchis
un grand vane plein de fruits rouges
l’amie n’oublie personne
Na poin pérsone ? Na poin pérsone ? aurait-elle pu crier devant mon baro. Mais l’appel traditionnel du « Y a quelqu’un ? » inversé à la créole a été plus sûrement remplacé par le texto : Mi ariv, moin lé la….
Moin l’amène inn grape létshi pou ou, dit-elle, tout sourires. Clin d’œil de connivence. J’ai décodé le message : inn grape alors que mes bras peinent à supporter le carton de fruits rouges, fraîchement cueillis. Toujours cette pudeur qui pousse à déprécier le cadeau offert comme lorsqu’on est invité à vnir partaj inn ti boushé manjé (venir partager une assiettée) alors que nous attend un plantureux repas…
Letchis en partage et fête. Les premiers de la saison, j’en offre toujours à une amie, une voisine. Goûtons-les ensemble. Grimace. Il est trop tôt sans doute.
Et la fin de la coupe des cannes, autrefois. Papa organisait un tour de l’île en camion pour les colons, les journaliers ; ils devaient apporter de quoi faire une partie, zanbrokal à partager. Papa achetait un ballot de letchis. Peut-être y avait-il aussi une ou deux bouteilles de rhum qui circulaient mais je n’ai jamais entendu évoquer des débordements, des bagarres dus à l’abus d’alcool sous le soleil poikant. C’était jour de fête, de vacances.
Et papa nous ramenait des letchis, des grappes de petites mandarines qu’on ne trouvait que dans les vergers du Sud en ce temps-là : en rouge et en orange, la vie était belle !
Jouaient-ils à Philippine, les travailleurs de la terre ? Faisaient-ils des toupies avec les noyaux ? L’esprit d’enfance revient toujours avec Noël proche.
Letchis bien roses
aucun chagrin ne résiste
Philippines !
Lorsque l’on tombe sur deux fruits siamois, on se cherche un compère pour la dégustation partagée après avoir convenu d’un gage. À la prochaine rencontre fixée, le premier qui criera « Philippines ! » aura gagné.
Souvenir de philippine avec une nièce de 5 ans. Le rendez-vous était pour un repas de famille chez mes parents. Lorsque je me gare dans la cour, j’entends des hurlements et vois l’enfant qui court, sanglotant à fendre l’âme ; je me précipite pour la prendre dans mes bras, la consoler, oubliant le jeu et le gage. Entre deux hoquets, sort alors d’un minois barbouillé de larmes un « Philippine, Tante Monique ! », un peu rauque mais… victorieux !
(Letchis, Les mandalas de l’Avent, 19)