Le cadavre et la photo
LE CADAVRE ET LA PHOTO
Tite fleur fanée
avant la photo se dire
comme elle est belle
Faut-il photographier le vieillissement, la déliquescence, la mort ?
Je préfère les mots aux images. Photos et vidéos, par leur caractère immédiat, nous donnent à voir et à ressentir en brut. En brute. Tous ces clichés voyeuristes, gros-plans sur la douleur ou le désespoir, respectent-ils les victimes ?
Avis de recherche
sur la photo déjà
l’air d’un cadavre
Avec les mots, cela se passe davantage en douceur. Les lettres formant le mot ne se posent sur le papier qu’une fois passées au crible de la culture, de l’intellect ; on est sorti des débordements du pathos. Les termes utilisés ont été choisis par l’orateur, par le scripteur ; ils ont laissé la violence se décanter, s’adoucir, même si la parole ou l’écriture s’expriment plus ou moins spontanément. Notre inconscient joue son rôle de filtre, ne laisse passer que ce qui est supportable à l’émetteur, au récepteur. Alors que la vue est toujours agressée par ce que l’image lui montre sans fard.
Ainsi, si je vous propose ce haïku
Sur mon chemin
cadavre de chat tigré
oublier où
… il vous laissera à peu près indifférent. Tout au plus aurez-vous une vague forme inanimée qui effleurera votre conscience et pourrez-vous vous réciter le poème de Baudelaire… des mots, encore des mots !
Jamais vous n’aurez la pénible image qui s’est gravée sur ma rétine, celle que je vous aurais transmise si j’avais eu l’indécence de prendre une photo.
Quant aux images qui accompagnent les journaux télévisés — qui servent souvent des images d’archives n’ayant rien à voir avec l’événement immédiat — je préfère la radio ou, pourquoi pas, le journal.
(15 janvier 2019)