Le temps qui fuit

Publié le par Monique MERABET

Le temps qui fuit

LE TEMPS QUI FUIT

 

 

 

Par la fenêtre

le chant si bref

d’un oiseau

 

Et l’instant était parfait. Comme chaque instant de notre vie : le plus beau.

Faut-il craindre le temps qui fuit, le temps qui va trop vite ? C’est à nous de ne pas le laisser goutter, de s’asseoir au besoin sur les aiguilles de l’horloge.

Mais vous allez le dérégler, me direz-vous ! Serait-ce si monstrueux ?

« Même une horloge arrêtée donne l’heure juste deux fois par jour », dit un proverbe chinois.

Ou alors faire le temps prisonnier. Qui n’en a pas rêvé ?

Ah ! En rêver seulement… Immobiliser le temps, c’est aussi désorganiser le cycle des saisons, faire clopiner la terre, remettre le cosmos en tohu-bohu. N’avons-nous pas suffisamment joué aux apprentis sorciers ?

 

Et puisque, aujourd’hui 8 mars, est le jour du droit des femmes, je vous offre la première page d’un conte symphonique « Le temps prisonnier » dans lequel vous assisterez aux désarrois bien compréhensibles de la femme du Temps 

Illustration de Céline Manoël

Illustration de Céline Manoël

PREMIER MOUVEMENT

(Allegro)

 

Le Temps est un voyageur impénitent ; c’est bien peu de le dire ! En fait, il doit avoir inventé le mouvement perpétuel : il bouge continuellement, il n’est jamais présent.

Vous pensez le tenir aujourd’hui ? Il est déjà demain et cet instant est déjà tout à l’heure.

Les esprits naïfs croient pouvoir l’arrêter en égrenant des litanies de souvenirs d’hier, de jadis et de naguère, voire des neiges d’antan. En vain.

Le Temps ne revient jamais sur ses pas. Il échappe aux comptables. Il ne tient pas en place et… il nous faut bien l’accepter.

 

En ce temps-là, la femme du Temps s’appelait Sérène. D’un caractère calme et réfléchi, elle n’aspirait qu’à vivre avec son Temps une foule de petits bonheurs cueillis chaque jour ; et elle ne s’accommodait pas du tout de l’humeur vagabonde de son époux.

Imaginez un peu…

Un mari qui ne fait que passer, une entité insaisissable, impalpable, d’une insoutenable légèreté, un visiteur pressé, toujours un pied dans l’instant qui suit.

Et, avec le Temps, tout s’en allait : ses pensées, ses sentiments, sa jeunesse, sa joie de vivre et même, « ses plus chouettes souvenirs »

Sérène ne supportait plus cette situation ; d’autant moins que, bien que mariés depuis la nuit des temps, ils n’avaient pas d’enfant.

 

Elle tenta de retenir le Temps, implora, supplia : « Monsieur mon mari, encore un petit moment, s’il vous plaît ! »

Le temps, inflexible, fit le sourd et lui glissa entre les doigts comme le sable du sablier.

Elle essaya de courir après lui. Mais le Temps, mais le Temps va trop vite… on l’appelait d’ailleurs TGV (Temps à Grande Vitesse)

Elle finit par le perdre de vue ; et, comme chacun sait, le Temps perdu ne se rattrape plus.

Et même ! À supposer qu’elle courre aussi vite que le vent, aussi vite que le Temps, elle n’en aurait pas été plus avancée : ce qu’elle souhaitait vraiment, c’était prendre son Temps, le serrer  sur son cœur, le garder à ses côtés. Pas de faire du jogging avec lui.

Elle chercha des consolations ailleurs. Hé oui ! Tout le monde n’a pas la constance d’une Pénélope !

Elle se jeta à corps perdu dans toutes sortes d’activités ; elle fit de la poterie, de la peinture sur soie, du macramé ; elle s’inscrivit à un club d’informatique, de gymnastique, de botanique ; elle prit des cours de piano, de saxo, de tango ; elle cultiva son jardin et celui de ses voisins.

Le remède fut pire que le mal. Elle ne voyait même plus le Temps passer.

Elle songea à tuer le Temps, mais le cœur lui manqua. C’était son homme, après tout et elle l’aimait.

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