Parfums d'enfance

Publié le par Monique MERABET

Parfums d'enfance

PARFUMS D’ENFANCE

 

 

 

Pied de galabèr

distinguer les parfums

feuille et fleur

 

La surprise du jour. Mon souvenir avait toujours amalgamé les deux fragrances, celle poivrée de la feuille occultant la senteur chaude et sucrée de l’inflorescence. Si j’étais abeille… je sais bien celle qui m’attirerait.

Pourtant j’aurais dû me rappeler l’odeur de ces corolles que nous éparpillions en perles pour colliers, bracelets, diadèmes composés le long d’une tige de graminée.

Cette année, les herbes qui poussent dans la ruelle n’ont pas été fauchées et s’allongent devant le petit portail. Assez hautes pour imaginer un sautoir… une rivière de galabèr mais qui se souciera d’y enfiler des fleurettes. À part une nostalgie de petite fille pas encore vraiment grandie.

Je lis « Paysage perdu » un recueil de nouvelles que Joyce Carol Oates a consacré à son enfance et à la façon dont elle a modelé l’écrivaine formidable qu’elle est devenue. Mais devient-on « écrivaine » ? Cette faculté n’est-elle pas inscrite en nous, dans les paysages qui ont dorloté notre enfance ?

 

« mes heures les plus intenses, les plus heureuses se passèrent à courir les champs désolés, les bois et les bords de rivière entourant la ferme familiale. »

 

Elle, à Millersport dans l’état de New-York, moi au Plate, dans les Hauts de Saint-Leu. Mais à la différence de l’écrivaine américaine, mes promenades n’étaient jamais solitaires : nous étions cinq cousines aux âges se déclinant sur un intervalle de quelques années et donc, aptes à jouer ensemble.

En fillettes sages, nous ne nous aventurions guère en dehors des terrains appartenant à la famille (ceux de Papa, ceux de mes oncles) et nous bénéficiions de la surveillance discrète des journaliers qui vaquaient aux travaux des champs. J’en ai cependant gardé une impression de grande liberté puisque personne n’interrompait nos vavangages, sauf parfois la jeep de Tonton qui nous embarquait au milieu des paniers d’artichauts ou de pommes de terre ou de concombres.

Je ne me souviens pas non plus d’interdit ; même les fonds de ravine nous étaient ouverts.

Joyce Carol Oates évoque aussi sa participation aux corvées ménagères. Nous, nous en étions dispensées, ce qui ne nous empêchait pas de donner un coup de main… volontairement : la vaisselle à récurer avec les feuilles veloutées du bringellier aux senteurs de baume, le poulet du dimanche à plumer (odeur de cru, de duvets grillé aux flammes).

Parfums d’enfance toujours vivaces. Et cette odeur d’humus que nous ramenions sous nos sandalettes, elle persiste au fond de mon jardin conservatoire que j’omets de débarrasser des feuilles mortes.

 

(17 avril 2019)

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J
Ah oui il manque ça, l'odeur, et le contact de l'AUTRE ... quel bonheur j'aurais à te rencontrer "en vrai" !
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M
Un jour qui sait? Merci pour ton amitié Jocelyne.
J
Très joli texte, qui me fait rêver, Monique. Quelle liberté ont les enfants des villes d'aujourd'hui ? <br /> <br /> Merci, bisous
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M
Enfants des villes ou enfants des champs... réunis par leurs écrans aujourd'hui. Ah! Mais, il 'y a pas d'odeurs. Le galabèr pourtant...