Effeuiller le temps
LE TEMPS À EFFEUILLER
Orange est l’instant
d’une fin d’après-midi
lumière en cavale
renaître de son deuil
quand viendra un nouveau jour
Voix de l’amie, cependant que tombe la nuit. Par-delà la dentelle des rideaux, les feuilles s’agitent encore aux dernières sautes de vent. Frêle barrière contre l’obscurité qui vient.
Crépuscule et conversation : qui l’emportera pour justifier mon rêve ?
Au dos de mon brouillon, le texte d’un manuscrit qu’une auteure amie m’a confié en lecture : « La couleur de la vie »
Quelle est la couleur du deuil ? Le rose d’un souvenir, peut-être, de poudre aux joues, ou le bleu de ses yeux d’enfant, le jaune d’un pissenlit bientôt boule d’aigrettes qu’un souffle fera s’évanouir.
Farine de pluie
sur le compost s’ensoleille
la fleur du lastron
quand viendra la guérison
vous ne serez que souvenir
Et si je l’effeuillais, ce virtuel mandala souvent resté au bout des tiges brèdes que je préparais ?
À la semblance de cette légende japonaise : la jeune fille demande au génie qui vient lui rendre visite combien d’années vivra encore son fiancé malade. « Autant d’années que de pétales à la marguerite de ton jardin » lui répond-il. Aussitôt, la jeune fille prend l’épingle de son chignon et lacère en fines lamelles la corolle de la fleur. Ainsi naquit le chrysanthème.
Je m’en suis inspirée pour ce poème de Mathifolades (éditions Liroli, 2006 et 2019) :
Dame Marguerite, un jour,
voyant ses filles bien-aimées
martyrisées, tripotées, dénudées,
par tant d’inconnus en mal d’amour,
décida d’envoyer ces fâcheux sur les roses.
Elle peigna, repeigna les corolles
avec une épine de rose :
chaque pétale, à tour de rôle,
se vit multiplié par dix, par cent…
Le stratagème réussit pleinement.
Qui serait assez fou pour compter ses « Je t’aime »
sur la couronne d’un chrysanthème ?
(Petit journal du temps 22, 7 avril 2020)