El condor pasa
EL CONDOR PASA
El condor pasa
il y a longtemps
c’était le Pérou
On dit « l’oiseau passe » comme on dit « le temps passe ». Mais l’oiseau ne passe pas tous les jours et le temps, on ne le voit pas. Et surtout, il ne chante pas.
Il est (presque) aussi mauvais musicien que moi, le temps. Il se contente d’inscrire d’indéchiffrables partitions aux rides de mon bras. Cachez ces notes trop usées que je ne saurai entendre.
Lui préférer la barcarolle des orchidées tit-pigeon lançant ses portées onduleuses dans le fouillis des branches du cerisier. Chevelure blanche que le vent va peut-être peigner ou ébouriffer davantage.
Dans mon enfance, je regardais les « grands » (frères, cousins) habiller un peigne (volé à Maman ?) d’un bout de papier cellophane (papié klèr) et le porter à leurs lèvres. De cet harmonica primaire, leurs lèvres faisaient vibrer un semblant de mélodie qui m’enchantait et que je n’arrivais pas à reproduire.
L’ombre d’un oiseau se substitue à l’ombre de la feuille projetée sur le mur. Ombre d’ombre, faux de faux, l’oiseau devient réel. Vite ! Le fixer avant qu’un nuage vienne l’effacer ! L’écrire.
L’écriture n’est qu’une hâte à retardement. Prendre le temps de décrire ce qui fut marque du temps. La photo pour preuve.
Prendre conscience que rien ne se répète jamais : ni l’image, ni le chant, ni l’instant.
Musique du temps
p’tite aiguille… grande aiguille
chatouillant l’instant
(Petit journal du temps 28, 13 avril 2020)